L’évolution de la pensée est une chose bien tumultueuse. Dans La légitimité des Temps modernes, Hans Blumenberg reprend deux mille ans de réflexion philosophique en une thèse qui rappelle les grandes synthèses historico-philosophiques de Hegel et de Splenger. C’est un long cheminement hautement documenté, mais dont l’ordonnance paraît hasardeuse, comme si la mise en forme définitive avait été faite par quelqu’un d’autre que l’auteur.
Ainsi, la troisième partie consacrée à la curiosité théorique apparaît comme un à-côté de la thèse principale qui est la quête d’auto-affirmation de l’homme occidental dans sa recherche de la vérité. Alors qu’on se serait attendu au développement chronologique que le début du livre annonçait, le discours se déploie plutôt selon les thèmes développés, ce qui exige du lecteur une connaissance encyclopédique de l’histoire de la pensée européenne. Après avoir suivi, en deuxième partie, la révolution rationnelle opérée par Descartes, on revient en troisième partie aux subtilités théologiques des saint Augustin, Tertullien et autres pères de l’Église, avec des incursions du côté de la philosophie antique. Blumenberg se penche, en plus de deux cents pages, sur le grand débat qui a secoué la culture occidentale à plusieurs reprises avec des intensités variables, celui de la curiosité : jusqu’à quel point est-il légitime de pousser la recherche sur les objets et le monde extérieur ? Quelles sont les limites de l’enquête scientifique ?
Le livre se termine sur deux figures emblématiques marquant le passage de la pensée médiévale à la pensée moderne, Nicolas de Cues et Giordano Bruno, l’un opérant la dernière tentative pour sauver la scolastique en l’accordant à la nouvelle pensée, l’autre bousculant tout sur son passage en étendant à tous les êtres l’immanence divine et en détournant, sur le bûcher, sa vue du dieu rédempteur chrétien.
Un livre parfois passionnant, mais un peu éreintant, à ne recommander qu’aux lecteurs curieux de philosophie et disposant de beaucoup de temps.