Daniel Poliquin, l’auteur de L’Obomsawin (1987) et de L’écureuil noir (1994), vient de publier son sixième roman, La kermesse, une sorte de fresque intimiste de la vie d’un homme en mal d’identité et d’amour. Décliné dans une écriture baroque, souvent drôle, ironique, savamment digressive, le roman est brillamment dans la même veine narrative que le précédent de l’auteur, L’homme de paille (1998).
Le lecteur un peu pressé pourrait croire reconnaître dans la figure du narrateur-personnage Lusignan une sorte de double du héros de L’homme de paille, Benjamin Saint-Ours : ce sont des antihéros, qui sont passés à côté de la guerre plus qu’ils ne l’ont faite (la Première Guerre mondiale pour Lusignan, la Conquête de 1759 pour Benjamin), qui ont fait des enfants sans le savoir (Lusignan était trop soûl pour s’en souvenir et Benjamin était dans le coma), qui sont habités par la grandeur aristocratique, etc. Pourtant, La kermesse semble opérer une évolution certaine dans la réflexion de Daniel Poliquin sur l’identité, thème fondateur de toute l’œuvre. Issu d’une mère cinglée, qui rêve de grandeur religieuse pour son fils, Lusignan s’éprend très tôt d’une certaine idée de lui-même qu’il va passer sa vie à pourchasser : devenir plus que ce qu’il est, en l’occurrence une sorte de petit dieu, une image par laquelle se distinguer des autres. Ce n’est que dans la cinquantaine avancée que Lusignan parviendra enfin à se défaire de cette prétention à la grandeur et à accepter de n’être que celui qu’il est. Dans les textes précédents de l’auteur, il était assez clair que l’identité des personnages était souvent définie par l’image de soi projetée par les autres. Or, tout le propos de La kermesse, à travers de multiples péripéties qui convoquent de nombreux personnages, semble être de contrarier un tel discours – les rêves nobiliaires, le mépris des autres qu’entretient le désir d’une supériorité morale – au profit de la volonté, par Lusignan, de devenir en bout de ligne celui qu’il aurait dû accepter d’être d’emblée, c’est-à-dire tout simplement le fils de son père, un menuisier sans grandeur.
Mais cette vision identitaire n’est pas une fin en soi, elle est au service d’une vision amoureuse. Pour aimer, il faut savoir qui on est, croit-on lire. Grâce à sa nouvelle posture identitaire, Lusignan découvre à la fin ce qu’est « l’amour authentique, celui qui a conquis la biologie et la raison », celui qui fait qu’il est « enfin devenu un homme digne de ce nom, un homme qui aime une femme pour rien et n’attend rien d’elle ». Ironiquement, cette femme qu’il aime en aime un autre, bien qu’elle ait aimé Lusignan déjà – mais c’était à l’époque où ce dernier lui préférait une image de l’amour pleine d’une grandeur secrète. En bout de ligne, si le roman offre une leçon de vie (Lusignan sait enfin comment aimer), son personnage est seul, privé de l’objet de son savoir. Roman d’amour ? Dans un sens, mais surtout roman d’une certaine sagesse. Pour l’amour, il faudra peut-être attendre le roman suivant.