De tous les livres qui se sont écrits sur et autour du 11 septembre 2001, celui de Ron Suskind compte parmi les meilleurs et les plus crédibles. Journaliste au Washington Post, cet ancien Prix Pulitzer y décrit comment, au fil des jours, s’est élaborée la riposte américaine au terrorisme et comment s’est imposée la « doctrine du 1 % » du vice-président Dick Cheney. Il nous apprend également comment, confronté à des ennemis sans armée, dispersés sur la planète et jusque sur le territoire des États-Unis, la décision s’est prise de mener une contre-offensive à l’abri du regard du public et quelquefois en contravention avec les lois américaines.
Son principal informateur, parmi une centaine, est Georges Tenet, alors le directeur de la CIA à qui l’Administration Bush-Cheney a confié le mandat de mener cette bataille « invisible ». Avec lui, on assiste aux briefings quotidiens d’un président soucieux du détail des opérations et d’un vice-président plus branché sur les paramètres généraux. On constate avec lui l’impossibilité de coordonner le travail des différents organismes (22) chargés de la sécurité du pays et on suit à la trace les opérations de la CIA sur le terrain, en particulier au Pakistan et en Arabie saoudite.
Au final, Ron Suskind donne à voir une organisation assez mal préparée à relever le défi qu’on lui a confié, non pas tant par manque de compétences qu’en raison du cadre dans lequel on la force à travailler, notamment la doctrine du 1 % selon laquelle, si une catastrophe a une chance sur cent de se produire, l’Amérique doit y réagir comme si elle était une certitude. De plus, ce principe demande d’agir vite, en escamotant les étapes nécessaires à l’élaboration de la preuve, démarche jugée trop contraignante. Bref, on frappe d’abord, on pose les questions ensuite.
Livre rigoureux, écrit par un journaliste chevronné, remarquablement bien informé de surcroît, La guerre selon Bush ne nous apprend toutefois rien de spectaculaire. Son grand mérite est de nous faire pénétrer au cœur des forums où se prennent les décisions qui changent la face du monde. Surtout, il révèle les mécanismes qui ont amené une poignée d’individus à convaincre les Américains de s’engager dans une guerre sans honneur, en Irak. Pour qui sait passer par-dessus certaines difficultés de lecture dues à la surabondance d’informations et aux maladresses de la traduction, La guerre selon Bush réserve le rare plaisir d’observer, de très près, l’Histoire en marche.