On dit parfois d’un livre que sa parution est en soi un événement. L’ouvrage du journaliste britannique Robert Fisk entre dans cette catégorie. Qu’on en juge : Fisk est le seul Occidental à avoir interviewé (trois fois) Ben Laden, en plus de parcourir le Moyen-Orient depuis des décennies. Les quelque 900 pages qu’il livre sont remplies de souvenirs pénétrants sur le monde arabe et musulman actuel.
Le principal thème de ce livre concerne les méfaits commis par les puissances occidentales, au premier rang les États-Unis, en Orient musulman. Et combien l’histoire se répète, que ce soit le colonialisme britannique en Irak au début du siècle, celui des États-Unis en Iran avec le renversement en 1953 d’un gouvernement démocratique ou encore les deux guerres du Golfe de 1991 et de 2003. Autant d’actions marquées du sceau, insiste Robert Fisk, de l’unilatéralisme et de l’hypocrisie.
L’Irak constitue un cas particulièrement accablant. L’auteur s’attarde notamment sur deux événements marquants. L’un est l’abandon des insurgés irakiens après la guerre de 1991, pourtant encouragés à la révolte par les États-Unis, lâchement abandonnés par la suite, et massacrés par Saddam. L’auteur qualifie ce geste de « crime contre l’humanité », rien de moins.
Il y a aussi la politique « Pétrole contre nourriture », mise en place pour contenir Saddam après la guerre contre l’Irak, faite de bombardements sélectifs et de sanctions. Cette stratégie a surtout contribué à affamer le peuple irakien, et notamment ses enfants, que Robert Fisk a vu mourir par dizaines auprès de médecins courageux, mais démunis devant un tel désastre. Laissons s’exprimer l’auteur : « D’un point de vue historique, on en parlera un jour comme de notre crime le plus impitoyable contre le Moyen-Orient, contre les Arabes et contre les enfants ».
L’auteur conclut son monumental ouvrage en rappelant la triste gestion des Américains de l’après-guerre du Golfe en Irak en 2003. Dans le chaos qui s’est emparé du pays à la suite de la chute du régime, un fait résume bien l’action cynique de l’Occident au Moyen-Orient : les seuls biens protégés ne furent ni les musées, avec leurs splendides trésors millénaires, encore moins les écoles, mais bien les bureaux des ministères de l’Intérieur et du Pétrole, bien sûr.