Présidente de La fondation Raïf Badawi pour la liberté, l’autrice signe ici un premier roman. Après avoir obtenu l’asile politique au Canada en 2013, elle vit aujourd’hui à Sherbrooke avec ses trois enfants et œuvre sans relâche pour la libération de son mari emprisonné en Arabie saoudite depuis 2012.
La Saoudienne militante de la liberté d’opinion et des droits de la personne est née en 1979 à Jizan. Avant d’écrire La geôle des innocents, Ensaf Haidar avait déjà publié Mon combat pour sauver Raïf Badawi (2016, L’Archipel) et Mon mari, ma douleur, mon espoir : mon combat pour sauver Raïf Badawi (2017, Archipoche). Sa première œuvre de fiction ne pouvait que se dérouler dans une prison d’Arabie saoudite, quoique le récit demeure une œuvre d’imagination, assure-t-elle. En effet, lors des rares et brèves conversations téléphoniques avec son mari qu’elle réussit à obtenir, ils ne peuvent aborder ni les détails, ni le quotidien de son emprisonnement. Ensaf Haidar a dû inventer le contexte, les interrelations, le langage et les rituels de la prison de Briman, à Djedda, où son mari est emprisonné et où ses personnages évoluent. « Désormais il n’y a plus de place que pour la souffrance sur une route longue qui mène en enfer. »
Les « innocents » en « geôle » du titre sont deux étrangers en quête d’une vie meilleure, le Syrien Rachman et l’Indien Râm, qui ont cru aux mensonges des sirènes de l’Arabie saoudite. Leur méconnaissance des lois du pays les amène à transgresser des règles qu’ils ignoraient, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent tous deux en prison, à partager la même cellule, le même grabat. « On m’a promis monts et merveilles : je reviendrai les poches pleines de dollars et n’aurai plus besoin de travailler de toute ma vie », pensait Râm.
Dire que leur vie en prison sera empreinte de violences, d’injustices et d’incompréhensions est de la dernière évidence.
Rachman avait fui la Syrie pour un emploi de chauffeur, mais sans le savoir, il enfreint les règles du Royaume et surtout celles des garants du wahhabisme, la religion d’État. Pour les beaux yeux de la ravissante Siham, il est convoqué par la brigade des mœurs et durement puni. « J’étais à mille lieues d’imaginer qu’en Arabie saoudite, j’aurais affaire à la police religieuse. »
Par le biais d’une agence de recrutement, l’ingénu Râm, quant à lui, s’est retrouvé dès son arrivée à travailler dans une distillerie clandestine, d’où il a dû s’enfuir sans passeport et sans argent. Il joue de malchance et finit par tomber aux mains d’une patrouille de police. « Mon sort est scellé. On m’expédie à la prison de Briman. »
Si, tout au long du récit, il est difficile de s’attacher aux personnages, la primo-romancière ayant délibérément choisi un ton narratif de froid détachement – ce qui ne favorise guère les élans d’empathie –, le livre demeure néanmoins un précieux témoignage d’une terrible réalité, aussi fictionnelle soit-elle.
En 2015, Ensaf Haidar a reçu au nom de son mari le prix Sakharov pour la liberté de l’espritdécerné par le Parlement européen. Raïf Badawi a reçu de nombreux autres prix et a été deux fois proposé pour le prix Nobel de la paix.