Monde étrange que celui dans lequel nous entraîne ce roman apparenté au conte philosophique. L’espace romanesque sordide nous apparaît hors du temps : dans une steppe désertique, une gare désaffectée, jalousement gardée par un vieux chef de gare un peu maboul ; un village entièrement coupé de la civilisation, sans électricité ni aucun moyen de communication avec l’extérieur, où vivent en vase clos des habitants plus ou moins tarés. Univers invraisemblable que celui de Vokzal-Village où est arrivé le héros par un curieux hasard et d’où l’on ne peut sortir qu’au risque de sa vie. Seul le vendeur ambulant Gaspard s’y aventure à l’improviste, une fois l’an. Comme dans les contes, l’espace, tant social que physique, est d’abord symbolique et nous convie à une action tout intérieure. En effet, l’action naît des forces contradictoires qui habitent le héros, ambivalent face à ses choix de vie. La gare symbolise ce moment de passage, du choix d’une destination.
Descendu du train, par distraction croit-il, dans ce trou perdu de Vokzal-Village, sans bagages, Adrian se retrouve en situation de rupture avec tout ce qui a fait sa vie jusque-là. Il attend d’abord d’être secouru par sa famille qui, espère-t-il, sera alertée par sa disparition. En vain. Il fréquente la taverne et se mêle aux hommes du village qui se méfient de lui, doutent de son titre d’ingénieur. Peu à peu dépossédé des signes de son identité, vêtu des habits rustiques du fils disparu de la vieille Mila, son hôtesse – qui le perçoit d’ailleurs comme un substitut de son fils Joseph, nom dont elle désigne Adrian -, bref, ayant perdu ses repères, l’homme commence à réfléchir à ce qu’a été sa vie jusque-là : vie matrimoniale et familiale frustrante, et insatisfactions professionnelles. Il en vient à explorer les possibilités d’une nouvelle vie, convenant que l’on est le premier responsable de la direction heureuse ou malheureuse de sa destinée. Mais encore lui faudrait-il se sortir du pétrin où il s’enlise. Ce n’est que lorsqu’il aura mis fin à son ambivalence que le moyen de fuir Vokzal s’imposera à lui, par le biais du chef de gare Cyrille, figure symbolique qui, en dépit des apparences, aura été un adjuvant certain dans la transformation d’Adrian.
La gare porte l’empreinte de l’écrivain Sergio Kokis, aussi peintre et psychologue, qui excelle à représenter des personnages troubles ou étreints par l’angoisse.