« Quel cauchemar que d’être deux à habiter un corps dont on partage les yeux ! » C’est avec cette perception dédoublée que l’on s’immisce dans l’esprit tourmenté d’Émile, un jeune homme interné dans un hôpital psychiatrique après avoir été témoin d’un drame familial horrible. La confusion qu’a vécue cet enfant fragile l’a poussé à trouver refuge dans la fracture de son œil alors que Clovis, double contrôlant, occupe son corps. Captif d’une léthargie absolue, le jeune homme mène une lutte acharnée pour sa survie jusqu’au jour où un nouveau psychiatre lui offre enfin la chance de s’ouvrir et de se libérer de son terrible secret. Une contraction de tout l’être s’ensuit où s’opposent pulsions de vie et de mort. Clovis tente alors d’inhiber les souvenirs tragiques imprégnés dans l’œil d’Émile. Cependant, petit à petit, les délires d’Émile nous dévoilent à l’insu de Clovis les pièces du puzzle de son enfance. Ces propos fluides, sans ponctuation aucune, démontrent une avidité de vivre, de laisser le mal s’envoler.
La fracture de l’œil est un roman sur l’importance de la vérité contre la tiédeur de l’âme et la tentation de l’oubli, qui peuvent s’avérer fatals. On assiste, impuissant, à l’apprentissage de la méfiance, à la bouffissure d’un cœur écorché, au vide étanche d’un être qui ne cherche qu’à se libérer de ses fantômes.
Cette première œuvre de Monique Brillon, docteure en psychologie, nous ouvre à l’existence d’un homme où priment la distorsion du réel et une blessure lancinante. L’écriture nerveuse et réaliste de l’auteure permet l’émergence d’une certaine forme de compréhension et d’empathie envers ceux qui souffrent d’une maladie mentale. Leur douleur psychique et leurs agissements, qui peuvent parfois paraître contradictoires, prennent soudain un sens. On assiste à une véritable psychanalyse amputée de sa lourdeur et de ses termes techniques. Bien plus qu’une simple satisfaction littéraire, La fracture de l’œiloffre l’ultime cadeau de tout bon roman : l’impression de retirer véritablement quelque chose de sa lecture. Par ailleurs, bien que le thème de la folie ait été abordé maintes fois en littérature, le livre donne un point de vue rafraîchissant, qui ne croule pas sous les banalités. Mission accomplie pour ce premier roman, chère Madame Brillon !