Refermant ce court roman de Milan Kundera, qui échappe à l’œuvre complète scellée dans la « Bibliothèque de la Pléiade » comme un rire qu’on ne peut retenir, je n’ai pu m’empêcher de penser au Candide de Voltaire. Dans l’un et l’autre cas, une même volonté d’affronter le tragique de la comédie humaine en le désarçonnant à sa base, en refusant, sans pour autant fermer les yeux, de céder au diktat de l’avilissement culturel et politique qui tend à rendre toutes choses semblables, égales entre elles et, ce faisant, à les rendre insignifiantes. Le roman s’ouvre ainsi sur une réflexion sur le nombril des jeunes filles qui arpentent le jardin du Luxembourg autour duquel, comme pour le nombril, se portera notre attention. Notre époque ne s’est-elle pas, à l’image de ces jeunes filles, mise à nu au point de concentrer le regard du passant honnête sur ce point anatomique des plus sensibles ? La métaphore n’est sans doute pas aussi gratuite qu’il peut y paraître à première vue. « La mode du nombril, proclame l’un des protagonistes de La fête de l’insignifiance, a inauguré le nouveau millénaire ! Comme si quelqu’un, à cette date symbolique, avait soulevé un store qui, pendant des siècles, nous avait empêchés de voir l’essentiel : que l’individualité est une illusion ! »
Réunissant autour d’un narrateur six personnages qui deviseront tour à tour du sens de l’existence, de l’avenir de l’Europe, ou plutôt de son déclin, et d’autres problèmes qu’aucune frontière ne peut contenir à l’extérieur de son territoire, Kundera se livre à une ultime dissection de l’absurde, avec l’adresse chirurgicale de qui sait manier le scalpel. Il pousse même la farce jusqu’à faire dialoguer ses personnages dans une langue qu’ils inventent afin de s’assurer de demeurer incompris des invités qui les entourent et de désamorcer entre eux la banalité des échanges qui les afflige. Ils ne s’efforcent pas moins de prononcer distinctement chaque phonème, d’articuler chaque syllabe, de respecter le caractère prosodique de cette langue pour lui donner la tessiture de la vraisemblance, avec le même sérieux que celui qui manipule les ficelles du récit et qui, à l’occasion, sort de l’ombre pour nous rappeler qu’il ne s’agit que d’un jeu. Les personnages ne sont pas ici en quête d’auteur, ni ce dernier en quête de personnages. Ils se sont donné rendez-vous pour effectuer un dernier tour de piste, même si le spectacle est terminé, l’œuvre achevée, pour en résumer toute la gravité en nous rappelant que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce que Kundera résume à sa façon en livrant sa finale : « L’insignifiance, mon ami, c’est l’essence de l’existence ».
Une véritable fête de l’intelligence.