Étrange destin que celui de Valentine. Cette fillette grandira dans l’ignorance d’un fait qui, même lorsqu’il lui sera révélé, ne changera rien à l’image du père idéal qui a germé dans sa tête d’enfant. Nourrie de récits de voyages et des rêves de son père, Antoine de Lérieux, Valentine se destine inéluctablement à partager la vie d’un fabulateur : « Antoine mentait au passé. Raoul, lui, mentait au futur. » Véritable mythomane patenté, Raoul roule sa bosse entre Paris et Montverche, petite ville de province où le couple réside. L’incessant va-et-vient de Raoul rythmera la vie et, en quelque sorte, l’accession de la très jeune femme à la vérité. À sa vérité.
La coexistence en Valentine de la vérité et du mensonge en fait un être ambivalent : « Mais nul ne veut jamais voir l’évidence si elle recèle quelque péril. » Vivre aux côtés d’un menteur exige bien sûr la capacité de se mentir à soi-même, car comment supporter autrement un baratineur ? Mais partager l’existence d’un menteur c’est aussi, et surtout, souffrir les boniments d’un Narcisse qui se fout éperdument de tout ce qui n’est pas lui. Enfant carencée puis épouse négligée, Valentine découvre peu à peu le mobile de son excès de confiance : il est toujours difficile d’abandonner les illusions de l’enfance.
Un mystérieux personnage, dont les propos sont rapportés en italique, commente les jours de Valentine. Cet être clairvoyant, espèce de narrateur omniscient dont on connaîtra l’identité vers la fin, ponctue le récit de ses observations sur l’héroïne, qui refuse longtemps de voir la vérité en face : « Sans doute toute vie, pour être tolérable, passe-t-elle ainsi à côté de ce qui ne doit être su qu’à la fin. Comme si on choisissait en toute lucidité de ne pas détruire le mensonge consolateur […]. » Bref, l’aspect le plus intéressant de La femme du menteur tient à certains de ces commentaires, parfois sagaces, parfois faciles, qui suscitent la réflexion.