Je lis La douleur du verre d’eau comme j’enfilerais une veste de laine chaude, légèrement élimée sur les coudes, comme je braillerais ma vie et continuerais d’espérer.
Jean-Christophe Réhel ouvre le bal avec un poème long de cinq pages dont il a le secret du mouvement qui se déplie et revient sur lui-même ; une vague sur l’eau, des larmes qui n’en finissent plus de couler et de brûler les joues, un mélange d’abandon et de lutte. La démarche du poète est souple sur le chemin qu’il s’est tracé. Publié peu de temps après La fatigue des fruits, paru chez L’Oie de Cravan, ce nouveau livre poursuit là où le précédent nous laissait et aborde les thèmes qui font désormais la marque du poète : la santé fragile, le corps qui lâche, la mort juste au-dessus de l’épaule, le quotidien, le travail, le désir de vivre, l’amour fou et l’émerveillement.
Si les verres d’eau se multiplient, comme les références à la mer, au fleuve, à la pêche, le fil conducteur est peut-être un peu ténu, mais on se retrouve clairement en territoire Réhel, celui qui s’est attaché l’affection de tant de lecteurs, qui en a initié d’autres à la poésie. Dehors les poèmes plus courts et plus mordants, à la manière de Bleu sexe les gorilles (L’Écrou, 2014) et des Volcans sentent la coconut (Del Busso, 2016) : on nage en eaux vives, dans les je veux, c’est peut-être, m’allonger, je meurs, ces répétitions-signatures de l’auteur qui me portent au cœur de quelque chose qui ressemble au temps qui passe. On pourrait évoquer l’effet de surprise qui se dissipe, peut-être la faute à la parution presque coup sur coup de deux livres de poèmes et d’un roman ; évoquer une certaine formule, mais je sens que c’est dans ces espaces que Jean-Christophe Réhel vit comme il rêverait de le faire, c’est là que son cœur est en joie. L’écriture y est une nécessité, une course, d’où le débit dans les textes, d’où le rythme de production du poète. La voix est claire, toujours vraie ; elle est un grand cri du cœur sur le bord d’exploser, un œil brillant qui contemple l’ennui, accoté à la fenêtre, sur la banquette arrière d’une voiture. Il ne se passe rien, il s’y passe tout. Et Réhel se connaît, s’amuse de ses manières : « [J]e sais / je suis redondant je me répète / je parle juste / de météo / de bouffe / de poumons / je connais juste ça / cracher du sang la nuit pour ne pas m’envoler / je connais juste ça / je ne veux pas aller au paradis / je veux rester sur mon divan ».
De la fatigue à la douleur, le poète se fait un cran plus grave : « [J]e ne rentre plus dans mon linge / je ne rentre plus dans tes bras / je ne rentre plus dans l’ensoleillement des choses ». La confession s’assombrit. Le sentiment d’amour mue lui aussi, devient plus assumé, plus romantique. On est dans de belles envolées, des déclarations à celle qu’il aime, dans la peur de la perdre, et on est aussi, beaucoup, dans le rapport à soi, comme si le poète cherchait encore les mots qui le mèneraient à la paix et à cette forme d’amour : « [À] quand la vie ? / à quand la belle vie ? / la vie douce la vie simple ? » Et on rentre à la maison, on retrouve, comme dans les livres précédents, un bon sandwich aux tomates, monté avec attention, sur la table et on le mange en regardant filer les journées.