Sensualité, symbolisme et subversion sont au rendez-vous dans ce roman touffu de l’autrice des acclamés Griffintown (Alto, 2012) et Soudain le minotaure (Triptyque, 2002).
Marie-Hélène Poitras ne lésine pas sur le temps à investir pour concocter un roman. Tant mieux pour ses lecteurs, car son dernier opus est à nouveau un grand cru. L’autrice y déploie une écriture soyeuse dans laquelle on se laisse envelopper, pour ne pas dire subjuguer.
Le titre annonce déjà un programme où les certitudes pourraient être ébranlées, où les règles pourraient être détournées. Le terme « désidérata », pour désigner la chose désirée, est officiellement de genre masculin et il n’est pas innocent qu’il soit ici féminisé. Dans un style envoûtant, l’autrice anime sa petite galerie de personnages dans le décor de Noirax, une enclave rurale d’un autre âge, ou peut-être d’aujourd’hui. Un coin oublié de la France profonde, ou peut-être n’importe où ailleurs. Il y a le père, figure emblématique d’une lignée patriarcale, investi d’une autorité naturelle sur ses proches et qui ne cache pas son ambition d’étendre son emprise plus largement sur la population de Noirax. Il y a le fils, qui revient au bercail après une déconvenue maritale. Il y a la bougresse, la bonne qui, jadis, fut elle-même la proie du maître et fut témoin d’événements dont on ne parle pas. Il y a aussi le souvenir de Pampelune, l’épouse du père disparue dans des circonstances nébuleuses. Il y a enfin Aliénor, « [é]leveuse, cueilleuse, semeuse de trouble », la goutte d’eau, l’étincelle, le battement d’aile qui devait survenir pour lancer le bouleversement de l’ordre séculaire.
Le paysage et l’ambiance de La désidérata rappellent fortement les littératures de terroir, avec au surplus une touche de fantastique. Certaines descriptions évoquent un monde paisible, harmonieux : « Dans l’assiette, une main bienveillante a déposé quatre pruneaux, des groseilles et des coings, un citron à demi pelé. Une bouteille de rouge encore un peu vert décante dans la carafe. Il y a des amandes fraîches dans leur coque molle, un chorizo d’âne dans une poterie rustique et le pain de farine artisanale encore moelleux du matin ». Toutefois, sous le calme apparent on devine bientôt des forces occultes qui, si elles ne sont jamais tout à fait mises au jour, se manifestent entre autres par des appétits insatiables et ravageurs.
La disparition de Pampelune, l’épouse créatrice de parfums étranges, sera-t-elle élucidée ? Les secrets détenus par la bougresse seront-ils révélés ? Le fils, revenu auprès du père, saura-t-il prendre la relève et perpétuer les traditions scrupuleusement entretenues par des générations de Berthoumieux ? À l’arrivée, les réponses ne sont pas toutes faites, les mystères ne sont pas tous éclaircis, mais la romancière nous donne généreusement à méditer et de quoi échafauder nos propres interprétations.