Le narrateur, plutôt que de terminer sa thèse de doctorat, sent le besoin d’écrire sur son père, un homme encore relativement jeune mais condamné par le cancer. L’écriture, sobre et lucide, efficace dans son économie même, donc parfaitement bien adaptée au propos, participe d’une forme de récit autobiographique qui est florissante depuis les textes d’Annie Ernaux. À cet égard, la mention générique « roman » sur la couverture du livre est quelque peu abusive.
L’image du père, ouvrier parfois sans emploi, est dévastatrice. Alcoolique, il a construit un univers familial empoisonné par la méfiance, les mensonges et les disputes. Le narrateur relate certains épisodes d’une enfance difficile, marquée par des difficultés d’apprentissage à l’école, par les déchirements entre la mère et le père ; un père impulsif et brutal qu’il est parfois obligé de frapper, et une mère attachée malgré elle à son mari, même si elle sait que l’excuse d’un soir vaut « aussi pour les soirs à venir » et qu’il est possible d’apprécier de rares moments de douceur seulement parce que l’on a « subi tous les autres ». Le regard du narrateur sur ses parents est néanmoins complexe : l’attachement du fils envers le père semble l’emporter sur la rancœur, alors qu’il ne pardonnera jamais à sa mère d’avoir cherché à humilier son père devant lui, l’enfant si vulnérable.
Cette histoire, visiblement très largement autobiographique, on ne nous la raconte pas sans raison. Le livre relate moins la mort d’un père que ce qu’elle permet, à savoir la naissance du fils. « Ma présence au monde a souvent été une absence », dit le narrateur pour rendre compte de l’emprise contraignante de l’image du père dans sa vie. La mort est libératrice, et du coup productrice de ce récit qui acquiert une valeur cathartique indéniable. « Autant que notre séparation se fasse par une autre voie que celle de la mort. Autant qu’elle se fasse par le biais de la littérature. » En ce sens, la « dernière année » est aussi bien celle du père condamné par le cancer que la dernière d’une vie, pour le narrateur, en attente d’une autre, meilleure, dégagée d’un quotidien misérabiliste et culpabilisant. La mort du père débouche sur une possibilité de vivre.