Voilà un livre dont il faut louer la vigueur, les assises et le courage. Large documentation à l’appui, Mathieu Bock-Côté s’attaque, en effet, à la fois à une tendance dominante chez les historiens d’aujourd’hui et à quelques-uns des fringants ténors de leur école. Il le fait sans jouer le frondeur, mais sans se priver de contredire quiconque semble préférer une quelconque théorie universitaire – déconstructiviste ou néo-marxiste – à la mémoire telle que le peuple québécois la porte en lui.
Même si l’écriture privilégie trop souvent les phrases à pentures, on comprend vite à qui et à quoi s’oppose Bock-Côté.
Le propos tient en peu de mots : un révisionnisme historique sévit qui discrédite sciemment le nationalisme québécois et qui, propageant les mirages du multiculturalisme, culpabilise ceux qui tiennent à renforcer le lien du Québec avec ses enracinements traditionnels. Aux yeux de Bock-Côté, ceux-là se trompent quand ils coupent une histoire de sa mémoire et s’investissent dans un projet si exclusivement aimanté par le devenir idéal de la société qu’il en oublie la nation et son passé. Dynamiques et sincères, ces spécialistes n’en participent pas moins à un travail de déconstruction dont le concept même de nation fait les frais. La souveraineté adviendrait-elle qu’elle serait « dénationalisée ».
Parmi les cibles explicitement visées par l’auteur, on trouve Gérard Bouchard et Jocelyn Létourneau. Non que les deux adoptent la même position à propos de l’incarnation historique du projet québécois, mais parce que les deux insistent sur les vertus d’une relecture de l’histoire inspirée de conceptions scientifiques plus que de la mémoire. Selon ces deux auteurs, déclare Bock-Côté, « mieux vaut renier la tradition, puis la déconstruire, en révisant profondément le ‘légendaire national’ ». Face à eux, écrit l’auteur, Fernand Dumont « invitait les sciences sociales à ne pas se construire une méthode contre les pratiques sociales et culturelles par lesquelles une société parvient généralement à l’interpréter ». Important corollaire de l’analyse pénétrante de Mathieu Bock-Côté, un Québec fidèle à sa mémoire affirmerait sans complexe son antériorité sur le Canada : l’histoire du Canada est un chapitre de l’histoire québécoise, non le contraire.