Comment continuer à vivre lorsqu’on est un homme, âgé — français — et que l’on vient de perdre sa tendre moitié (Lulu) ? Eh bien, en continuant à parler, tout simplement ! ou plutôt en continuant à converser ! Car il s’agit bien, dans La conférence de Cintegabelle, de conversation, mais dans la plus pure tradition. En effet, la conférence commence dans les règles de l’art et notre orateur, passionné, jouant d’axiomes, de syllogismes et de toutes les armes que la rhétorique possède, essaie de restaurer une pratique en voie de disparition. Mais peu à peu, il entraîne le lecteur aux abords d’un genre effectivement perdu : la satire. La satire, entendons-nous, comme la pratiquaient Voltaire ou Diderot au siècle des Lumières.
Lydie Salvayre, auteure maintenant confirmée puisqu’elle en est à son septième titre, possède manifestement l’art de converser. Mais dans cet exercice de style, elle en pervertit les règles subrepticement. Et les lecteurs, éblouis (et parfois aveuglés) par les règles de civilité de ce discours bien ficelé, partent à la dérive à travers les méandres d’une logorrhée truffée de références et de sous-entendus. Stupéfaits ou ralentis par un bon fou rire, ils sont transportés à leur insu dans un pays inconnu, en l’occurrence la France. La France contre laquelle se dirige cette diatribe virulente serait la patrie des cochons bien élevés, des intellectuels constipés et narcissiques, des hommes politiques contrits et opportunistes, le pays où l’art de converser ou plutôt de monologuer, s’il n’est plus toujours fait dans les règles de l’art, reste tout de même « une spécialité éminemment française ». Satire donc, car sous ses déguisements, ce petit discours corrompt la tradition, associant des expressions pompeuses et désuètes à des grossièretés, des termes anglais ou espagnols. Procédé qui nous ramène (fort heureusement !) dans les eaux de la modernité.
Pour lecteurs avertis, donc, ou pour ceux qui aiment les préciosités d’une autre époque, qui, même si on n’en connaît pas l’histoire, laissent pressentir qu’elles recèlent un secret.