Dans un effort de synthèse historique englobante, l’auteur propose une vision nuancée de l’évolution du Québec de ses origines à nos jours. Ce faisant, il prouve qu’à force de nuances on peut en arriver à brouiller les contours.
Historien et professeur à l’Université Laval, Jocelyn Létourneau est l’auteur de nombreuses publications sur le Québec et l’identité québécoise. Sans que cela mette en doute la qualité de ses travaux antérieurs, force est de constater que son dernier ouvrage n’est pas à la hauteur de sa prétention à renouveler le récit du parcours évolutif de la société québécoise.
Il est sans aucun doute admirable que Létourneau nous offre, dans un format relativement concis, un survol exhaustif et conséquent de l’histoire du Québec. Toutefois, en introduction de son essai, l’historien prétend se dégager de toute idéologie ou de toute option politique, pour nous livrer le constat objectif d’un cheminement original et tourné vers l’avenir, plutôt que de se laisser enfermer dans les visions biaisées d’un Québec au devenir toujours contraint, soit par manque de détermination, soit par des vents contraires. Pourtant, à la lecture des nuances apportées tout au long de son ouvrage à ce que Létourneau identifie comme les composantes d’une vision dramatisée et, à la limite, fantasmée de la réalité québécoise, on y cherche en vain les éléments vraiment nouveaux. De plus, l’historien pratique une forme d’écriture dont les méandres sont parfois de nature à laisser perplexe. Ainsi, dans l’introduction de l’essai, cette phrase d’une longueur record et d’une clarté toute relative : « Suivant une chronologie molle plutôt que stricte, d’où l’emploi de titres de chapitres affranchis du fétichisme de la date charnière, notre but est de voir comment les parties et participants d’une collectivité, en ne cessant de s’influencer et de se transformer les uns les autres dans leurs configurations objectives et leurs représentations subjectives, ont construit en concomitance, dans la confrontation de leurs intérêts, la discordance de leurs perspectives et l’inadéquation de leurs pouvoirs, quelque chose d’enchevêtré et d’élaboré : un vivre-ensemble inusité mais fonctionnel, qui ne procède ni du programme planifié ni de l’opération improvisée, mais relève de dynamismes tout à la fois souhaités et circonstanciés ».
Concernant les commencements de la Nouvelle-France, Létourneau rappelle à bon droit que les Autochtones et les arrivants européens, quoique de cultures différentes, partagent des traits communs à la condition humaine. Il s’oppose ainsi à une vision idyllique des peuples autochtones, selon laquelle ces derniers seraient entièrement définis par leur qualité de victimes, face à des Blancs persécuteurs. Il est vrai qu’il a fallu réviser l’image qui avait longtemps prévalu de l’Indien belliqueux et tortionnaire de missionnaires, pour reconnaître la valeur intrinsèque des cultures présentes sur tout le territoire américain à l’arrivée des Européens. Ce faisant, certains ont versé dans l’excès opposé, réactualisant en quelque sorte la notion de « bon sauvage ». L’historien pointe du doigt une dérive bien réelle, mais il n’est pas le premier à le faire.
Tout en voulant échapper au carcan des dates charnières, Létourneau ne peut éviter d’accorder une attention plus soutenue à des moments marquants de l’histoire du Québec. Pour ce qui est de la Conquête et de la période qui s’ensuit, l’essayiste prend le parti de minimiser les effets délétères de la domination britannique, pour mettre en lumière les influences réciproques des parties et les avantages qu’en tirent différents segments de la société canadienne-française. Il marque dès lors son choix d’une version interprétative, prônée aussi d’ailleurs par d’autres historiens et analystes. De même, à propos de l’époque duplessiste, Létourneau affirme qu’« il est essentiel de sortir du cliché de la ‘Grande Noirceur’ sans pour autant tomber dans l’excès contraire de l’embellissement candide d’une époque ». Or, considérant la quantité d’écrits publiés depuis une trentaine d’années pour montrer que le Québec n’était pas complètement dans la torpeur avant 1960, on peut considérer comme un cliché le fait de ressasser cette idée.
À propos de la période récente, l’historien prend acte d’une « désethnicisation tranquille de l’identité québécoise », qui se traduit selon lui par une désaffection à l’endroit du projet d’indépendance, surtout chez les jeunes. Si ce parallèle repose sur des études, elles ne sont pas citées ; si cela relève du raisonnement déductif, les faits pourraient le contredire.