Il y a beaucoup d’ironie dans le titre du roman de Junot Díaz. En effet, si la vie de son héros est brève, elle n’a rien de merveilleux. Pas plus que n’est merveilleuse la vie des autres membres de sa famille. Écrivain américain né en République dominicaine, Díaz en retrace les parcours dans ce premier roman qui lui a valu, l’an dernier, le National Book Award et le prix Pulitzer.
Nous sommes dans le New Jersey des années 1980. Adolescent torturé, Oscar est rejeté par son entourage. Trop gros pour plaire aux filles, trop empoté pour faire partie d’une bande de copains, il cherche à échapper à la grisaille de sa vie dans l’écriture, espérant devenir le «Tolkien des Caraïbes ». Pour sa part, sa sœur Lola, la seule personne qui le comprenne, est une punkette coincée dans sa vie de banlieue et qui, de fugue en fugue, mène une sorte de quête du bonheur.
Béli, leur mère, a dû fuir la dictature de la République dominicaine dans les années 1950 pour s’être éprise d’un gangster proche de la famille Trujillo. Laissée pour morte dans un champ de canne à sucre, elle s’est réfugiée aux États-Unis où elle élève ses enfants à la dure. Elle-même rescapée d’une enfance horrible, elle ne connaîtra de son père, disparu à sa naissance, que ce que lui en racontera La Inca, la femme qui l’a sauvée. Junot Díaz, dans un émouvant chapitre, nous peint ce père en médecin prospère, en époux comblé, mort brisé dans les geôles de la dictature pour avoir voulu préserver l’honneur d’une de ses filles, convoitée par Trujillo.
On le voit, dans La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, le malheur est toujours aux trousses des personnages où qu’ils soient. Peut-être est-ce à cause du fuku, dont parle constamment le narrateur, l’antique malédiction des Caraïbes qui frappe les descendants des esclaves, et qui, pour la famille d’Oscar, prendra les traits d’un des dictateurs les plus sanguinaires que l’Amérique latine ait produits.
Le plus étonnant, c’est que Junot Díaz raconte tout ça avec une verve quasi jubilatoire, dans une langue pétillante d’inventivité où se mêlent français, espagnol et argot (parisien hélas !). Comme on danse sur la chanson de Vigneault quand il chante « tout le monde est malheureux », on sort presque réjoui de La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao en dépit des drames dont elle est tissée. C’est dire la force de l’écriture de Díaz qui réussit à transfigurer sa matière tragique en objet littéraire immensément séduisant.