L’entreprise de Laurent Laplante est centrée sur deux maîtres mots : relais et utopie. L’on peut certes « styliser le XXe siècle de diverses manières » : si notre courte mémoire humaine regorge de noms propres [sic] devenus synonymes de la barbarie moderne, nombreux aussi sont les progrès et les avancées scientifiques. Mais pour Laurent Laplante, les deux faits principaux qui marquent ce siècle, c’est d’une part « l’entrée en humanité planétaire » et d’autre part, « la recherche [ ] d’un relais approprié entre l’humanité planétaire et les humains qui végètent au creux du quotidien ». Si le premier constitue l’utopie, le second représente le moyen de corriger cette utopie, c’est-à-dire, de lui donner vie, humanité.
En trois parties totalisant 21 chapitres, Laurent Laplante s’attache avec pertinence à séparer le bon grain de l’ivraie, la bonne utopie ‘ le « souhaitable idéal » ‘ de la mauvaise utopie ‘ qui « propose un dangereux élitisme » ‘, le bon relais ‘ le relais associatif, qui « relie l’utopie et la personne » et sert les intérêts démocratiques ‘ et le mauvais relais, qui, ploutocratique, ne prête qu’aux riches.
La structure même de l’utopie des droits universels illustre magistralement le propos de Laurent Laplante : chaque chapitre est suivi d’extraits d’un journal « aux marges de l’écriture », où l’essayiste rigoureux ‘ utopiste convaincu et convaincant ‘ cède la place à un très humain et très socratique citoyen du monde « plein de doutance », qui tente, comme nous le faisons tous avec plus ou moins de réussite, d’extraire la « substantifique moelle » de ce chaos dans lequel nous plonge la surinformation, véritable fléau qui, avec Pierre Dac, nous fait dire que « tout est dans tout et réciproquement ».
S’affranchissant avec brio des clichés réducteurs et démagogiques dont se sustentent à mon avis trop souvent les folliculaires arrivistes et autres plumitifs sans scrupules, Laurent Laplante réinvente le manichéisme, affine l’opposition dualiste entre le rêve et la réalité, le bien et le mal et autres couples de contraires. La réalité serait plus proche d’un dilemme à la Charybde et Scylla, entre ces idéologies engendrées par le XXe siècle : le capitalisme ‘ qui affiche son « mépris des êtres humains en réservant ses complaisances à une fraction toujours décroissante de l’humanité » ‘ et le socialisme ‘ qui se discrédite « par l’oppression toujours plus lourde des bêtes à peine humaines soumises à son joug ». « Alternative », « antino-mie », « choix » : à eux seuls, ces trois mots résument le credo humaniste d’un démocrate éclairé qui plaide en faveur d’une humanité responsable et intelligente, au sens propre. « Entre la libre circulation des grands fauves et l’espoir d’une humanité plus juste », il faut donc choisir, « non pour le douteux plaisir de partager l’humanité en bons et en méchants. Non pour établir, d’un côté, la thèse, de l’autre, l’antithèse ».
La rigueur intellectuelle et l’étendue de la culture de Laurent Laplante ne sont plus à démontrer ; mais il ne s’agit pas ici du simple exercice intellectuel d’un brillant essayiste, ni seulement du témoignage d’un chroniqueur éclairé. L’utopie des droits universels EST un relais, une charnière ‘ fort bien articulée, cela va sans dire ‘ entre l’utopie et l’humain, entre hier et demain. Il jette un pont, nous propose une voie qui n’a de moyenne que la médiane. Et à ce titre, Laurent Laplante aura réussi une véritable gageure : il donne envie d’être de cette humanité intelligente.