Une splendeur orgueilleuse finit par se dégager de cette misère crue, brute, presque atavique qui habite ce premier roman de Naomi Fontaine, jeune Innue de 23 ans, originaire d’Uashat. Kuessipan irradie une luminosité nordique qui puise sa source dans la fierté même de ses habitants confinés dans une réserve modeste de la Côte-Nord.
Hachées à coups précis de parataxes, les phrases courtes confèrent un rythme régulier, à la limite d’une paisible monotonie. À l’image d’une vie n’offrant pas beaucoup de surprises, dans la réclusion d’une réserve sans relief. La parole, parfois elliptique, voit son sens se clarifier au détour d’une allusion anecdotique (un décès tragique, un accident de voiture), où se racontent les pertes multiples dans un monde où les hommes et les femmes meurent bien trop jeunes. La langue, simple, est constellée de phrases souvent nominales au lexique limité sans accuser de pauvreté pour autant.
Dans une quête absolue d’essentiel, Naomi Fontaine excelle à débusquer l’inattendue beauté, pour compenser sans doute la laideur d’un monde qu’elle ne rejettera pourtant jamais. D’où le recours à cette prose poétique, seul baume assez puissant pour adoucir l’austérité et le mal de vivre. Une tonalité douce, tout en sobriété, mais de ces douceurs mal résignées qui couvent une rage contenue, une colère ravalée qui voudrait hurler la détresse, l’abandon, la profonde affliction.
Une teinte documentaire préserve le roman d’un hermétisme poétique dont on suppose à l’occasion le penchant naturel. Au fil de ces quelque 110 pages aérées, sont exposés les structures sociales, les rites séculaires. On y voit toute la difficulté du peuple innu de composer avec ce monde contemporain où les repères nouveaux risquent de l’éloigner de la voie féconde tracée par les ancêtres. Privés des valeurs masculines traditionnelles (chasse, pêche), les hommes de la réserve tentent, plutôt mal, de redéfinir leur rôle.
Sans complaisance, sans verser outre mesure dans la victimisation, Naomi Fontaine ne parle que de ce qu’elle porte en elle, ce qui fait de Kuessipan un ouvrage authentique, profondément intime, que la jeune Innue élève au rang d’hymne à la vie autochtone. Preuve que du sable aride peut miraculeusement jaillir une improbable fontaine d’eau pure.