Écrivain réfléchi et pénétrant, Marc-Alain Wolf passe pour la première fois de l’essai au roman. Il y investit son sens de la nuance, l’aptitude à juxtaposer des sensibilités diverses, l’art de moduler le rythme stylistique. Dès le départ, Wolf fournit ce qui est (peut-être) une clé : « Il a lu dernièrement, dans un magazine littéraire, un article mentionnant que Stendhal écrivait pour faire taire la parole des autres en lui. […] Faire taire en soi la parole des autres. La voix des autres. Mais de qui au juste ? » Lorsque, quelques pages plus loin, le narrateur s’identifie, on mesure le défi : « C’est à dix-neuf heures quinze, le dimanche 15 septembre 2002, que Zaccharias Lemieux, accompagné de ses deux enfants, pénétra dans le sanctuaire principal de la synagogue hispano-portugaise. La Spanish and Portuguese ». Un Zaccharias juif, un Lemieux québécois, une synagogue perpétuant à Montréal une foi enracinée dans la péninsule ibérique, « la parole des autres » en a beaucoup à dire. Comme Lemieux, à l’exemple de Wolf, est psychiatre, il n’a besoin de personne pour cultiver les interrogations. Pourquoi respecter le Kippour ? Et pourquoi « déteste-t-il tant son nom » ?
L’écriture choisie par Wolf est fiévreuse. Les phrases sont souvent brèves, syncopées, dispensées de rattachement. La culture du psychiatre s’insinue pour évoquer le lien possible entre son intérêt professionnel pour l’Alzheimer et l’exigeante mémoire juive. Elle rappelle aussi le cruel diagnostic de Lacan sur le Nom de la mère. Étrange et prenant. Vertigineux et honnête.