Fable corrosive sur la Russie d’aujourd’hui ou œuvre satirique de prémonition, Journée d’un opritchnik séduira les passionnés de l’ambivalence politique de la « petite mère Russie » et de son passé. Vladimir Sorokine ne s’amuse-t-il pas à faire revivre quelques spectres historiques, telle la sanguinaire opritchnina, justement, la milice du despote Ivan le Terrible, dont se serait inspiré Staline ?
Sorokine est chef de file de la littérature postmoderne russe, auteur de récits, de pièces de théâtre et de scénarios de films, mais aussi illustrateur de livres et créateur d’installations plastiques. Dissident hier et mal vu aujourd’hui, l’enfant terrible se déclare sans ambiguïté anti-Poutine. S’il a subi l’autodafé de son œuvre par l’extrême droite et a été poursuivi pour pornographie, l’écrivain-culte génial a tout de même reçu prix et honneurs dans son pays.
La critique qualifie l’œuvre de Sorokine – traduite en plusieurs langues – de surréalisme sinistre et cette Journée d’un opritchnik située en 2028 correspond tout à fait à cette dénomination. Côté cour, des accents de science-fiction et côté jardin, un brutal retour aux tyrannies historiques. Cette fable cruelle permet à l’auteur d’exprimer son inquiétude toute contemporaine par rapport à la montée de l’autoritarisme, au manque d’opposition au régime et au déni de toute liberté d’expression.
Sorokine raconte 24 banales heures dans la vie d’un membre de la police secrète, NKVD ou KGB nouvelle manière, au service du Tsar. « Nous sommes là pour ça, afin de veiller au bon ordre et à extirper la dissidence. » Komianga affiche un calme détachement par rapport à ses missions de tueries, de torture ou de fraude, mais devient sucre et miel devant les désirs de ses supérieurs et leurs bizarres rituels orgiaques, qu’ils soient religieux ou sexuels.
Iconoclaste et décapant, le livre de l’ingénieur de formation Sorokine est une heureuse découverte, qui plus est, un livre bien écrit et bien construit.