En 2013, l’auteur se rend sur un îlot rocheux situé à proximité de son domicile de Saint-Gédéon, au Lac-Saint-Jean. Il y dépose quelques livres dans le but de découvrir ce que l’avenir leur réservera une fois laissés à eux-mêmes en pleine nature boréale.
C’est ainsi qu’il crée sa première bibliothèque de survie. Le concept se précise dans les années subséquentes et un archipel de dix-sept bibliothèques voit le jour dans ce même secteur du lac que les Innus nomment Pekuakami. À partir de 2017, le coffre de sa voiture débordante de bouquins et d’étagères faites maison, Sagalane entreprend des expéditions littéraires aux quatre coins du pays afin d’investir le territoire de ses curieux objets de survie. Sur le terrain, il entre en relation avec de nombreux complices du milieu littéraire.
Il quitte d’abord pour l’Est : Tadoussac, Rimouski, il rejoint la vallée de la Matapédia, longe ensuite le littoral acadien du Nouveau-Brunswick pour atteindre la Nouvelle-Écosse. Chemin faisant, il s’entretient avec l’érudit Claude La Charité, partage son amour du haïku avec France Cayouette, échange avec les poètes Jonathan Roy, Serge Patrice Thibodeau et Georgette LeBlanc. À Québec, secondé de Michel Pleau, et à Montréal, aidé de Bertrand Laverdure, il apprend que les espaces boisés des milieux urbains, ceux du cap Diamant ou du mont Royal, peuvent se montrer rébarbatifs à l’implantation d’une bibliothèque de survie. Il s’adonne à une séance d’expérimentation typographique avec Sébastien Dulude dans le Mile End montréalais. Accompagné de Jean Désy, qui avait lancé l’invitation à Québec quelques mois auparavant, et de Juliana Léveillé-Trudel, il s’aventure jusqu’au lac Mistassini. En plein cœur de la Jamésie, l’esprit de la guide de survie Joséphine Bacon n’est jamais bien loin… Le plus long déplacement a pour objectif Saint-Boniface où, entre autres, il fait la connaissance de Bertrand Nayet, un féru de littérature japonaise. L’itinéraire prévoit un arrêt en Outaouais et un détour par l’ile Manitoulin, cela avant de bifurquer en direction de Chicago, voire même de Green Bay pour assister à un match des Packers. Avec ses comparses de La Peuplade Mylène Bouchard et Marie-Andrée Gill, il part en randonnée sur un sentier qui le mène jusqu’au sommet du cap Éternité, au Saguenay. À pied, en canot ou en automobile, le « Livre » à venir plane constamment au-dessus de la tête du poète. En attendant sa publication, il noircit des carnets. Interpellé à intervalles réguliers par la voix bienveillante du narrateur, le lecteur, lui, se sent agréablement complice de toutes ces pérégrinations.
Ce récit s’insère dans le projet global du « Musée Moi » entrepris par l’auteur dans ses recueils précédents. On y retrouve des passages narratifs qui nous racontent les aventures du poète parcourant l’Amérique au volant de sa Subaru, mais aussi de nombreux passages descriptifs qui témoignent de diverses expériences esthétiques. Sagalane est un amant de la nature. Il rend constamment hommage à sa splendeur. Il se montre d’ailleurs très sensible à l’espace continental que les autochtones ont parcouru et nommé bien avant l’arrivée des Européens qui l’ont cartographié. Inspiré par le « sensei de survie » Matsuo Bashō et ses journaux de voyage, le texte est très habilement ponctué de haïkus qui transposent et qui fixent ces instants captés sur le vif tout en jalonnant le fil des péripéties.
Nul doute, sur le plan de la forme, il s’agit d’une œuvre originale et remarquable, mais la plus grande qualité de celle-ci est peut-être de faire en sorte que celle ou celui qui en achève la lecture éprouve la gratifiante sensation d’être devenu une meilleure personne, ce qui n’est pas peu dire. À lire absolument !