Voici la réédition, augmentée d’une préface judicieuse de Nicholas Rand, d’un ouvrage que je considère majeur, à la fois pour le renouvellement qu’il permet du commentaire littéraire de facture psychanalytique et pour la discussion rigoureuse qu’il présente de certains concepts fondamentaux de Freud (le complexe d’Œdipe et, plus largement, la place du père depuis la horde primitive) et de Lacan (la castration, l’inceste, le Nom du Père). À la base du travail de Nicolas Abraham, sa traduction de l’épopée tragi-comique et symboliste du somptueux écrivain et traducteur hongrois Michael Babits (1883-1941) : Le livre de Jonas, palimpseste de l’épisode biblique résonnant de Sophocle à Verlaine. Conséquence, selon Maria Torok, dont la préface de la première édition est reprise : « Un prophète, en attente depuis plus de deux mille ans, s’allonge sur le divan du psychanalyste. » Ne pouvant malheureusement lire l’original, qui nous est en toute honnêteté fourni, je ne peux que me réjouir, à la relecture, de la souveraine signifiance de la traduction, des correspondances multiples qu’elle contient avec le mouvement baudelairien de la mère.
Partons quand même de cette évidence : Jonas (dont le nom, précise Torok, Yonah en hébreu, signifie « colombe », c’est-à-dire « oiseau à sacrifier ») créchant durant trois jours dans le gros méchant monstre, avec sa lanterne peut-être, ça ne veut rien dire. Mais ce n’est pas du charabia, du récit plutôt, du signifiant en or, comme l’aimait Herman Melville qui s’y connaissait (notre ami Victor-Lévy Beaulieu en a touché un mot). Rien ne sert donc de chercher les restes ‘ les signifiés ‘ de madame la baleine et celle qu’on a voulu nous faire passer pour la « vraie », « l’authentique », n’en témoignerait que le tic malheureux que vendait jadis Miracle Mart, relayé aujourd’hui par (Who cares ?) D’ailleurs, vraiment, Jonas dans le poisson, remarque Nicolas Abraham, fournit quelque chose comme l’image de l’intromission du « sexe dans le sexe » observée par Dieu le Tiers ou, tellement plus compliqué, Dieu-la-mère.
Au cœur du traduire, de l’attention flottante, bref de l’écoute anasémique, nous voilà subitement plongés non pas dans une psychocritique ou dans une vignette clinique, mais bien dans une cryptanalyse attentive aux effets d’inconscient et d’œuvre. « Le cas Jonas » (c’est le titre du commentaire d’Abraham) ne s’établit pas sur les fondements freudiens (et surtout pas lacaniens) : le père, au lieu d’interdire, sans pour autant « phalliciser », ouvre la possibilité de la maturité sexuelle et donc, la séparation d’avec la mère. Pari de poètes.