Les propos inscrits sur la quatrième de couverture d’un livre sont souvent de nature publicitaire et commerciale, plus qu’analytique et littéraire. Ceux de la nouvelle édition (augmentée de deux textes) de J’espère que tout sera bleu offrent une appréciation à considérer : « Voici une prose d’exception pour lecteurs consentants », y lit-on. La réédition en format de poche du recueil de nouvelles de Jean Pierre Girard donne en effet à lire onze pièces qui décrivent des situations en apparence ordinaires, où se meuvent des personnages coutumiers, mais qui prennent sous la plume de l’écrivain une coloration peu habituelle, faite de constats et de questionnements qui surprennent par leur acuité et forcent l’attention.
Ainsi, dans la sixième nouvelle, un clown n’est pas simplement un homme maquillé, portant perruque indigo, nœud papillon jaunâtre et costume de foire, c’est un vieillard bâillonné, aux avant-bras cisaillés, attaché sur un fauteuil roulant, agité de tremblements irréguliers, qui souffre et délire depuis cinq jours au bord de la mer, parmi les détritus, jusqu’à ce qu’une gamine lui fracasse la tête avec un candélabre à cinq branches. Une danseuse n’exécute pas que sa routine chorégraphique devant 300 spectateurs, elle est envahie par les paroles du père Gabriel (extraites du film La mission de Roland Joffé), et ce « cirque du langage » la met « vraiment hors d’elle ». Un employé de bureau roule banalement « vers une autre journée de réunions soporifiques », mais en craignant que l’automobiliste jugé par lui suicidaire et rencontré en sens inverse, en larmes, sur le pont Jacques-Cartier ne saute du tablier. Un couple ne fait pas que s’étreindre sous les draps, il connaît une relation à la fois hésitante et tumultueuse qui attise en quelque sorte son amour. Notons encore, entre autres personnages, deux demi-frères qui s’adorent : l’un envoie à l’autre, régulièrement, une foule de livres et attend de lui des commentaires dont la « densité remarquable » le ravit, mais qui n’émanent que d’une lecture partielle et distraite.
Au-delà des faits que le texte dévoile petit à petit, le narrateur scrute longuement les états d’âme, de cœur et de corps qui animent les protagonistes, ce qu’évite en général la nouvelle, genre narratif de forme brève. « Prose d’exception », donc, qui va à loisir dans les méandres de la psyché humaine avec ses interrogations, ses convictions, ses hésitations, ses motivations, ses contradictions, ses accusations… Prose pour « lecteurs consentants », également, c’est-à-dire pour ceux qui veulent bien renoncer à la limpidité et à l’univocité de récits linéaires pour entrer dans un monde où se bousculent les états psychiques. La notation d’éléments tout à la fois passés, présents et à venir n’est pas « littéralement grandiose », comme l’affirme aussi la quatrième de couverture, mais la plume de Jean Pierre Girard se distingue fortement de celle des nouvellistes « réguliers ». L’ensemble ne se présente toutefois pas toujours avec une clarté apte à réjouir le « lecteur consentant », lequel a parfois l’impression d’une sibylline logorrhée sentimentale et événementielle. On gagne par contre à suivre la suggestion de l’auteur de lire ses textes « à haute voix ». On découvre alors un rythme naturel, intimiste et musical qui n’est pas sans charme.
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