Un livre des comptes affectifs, voilà ce que dépose Michel Pleau entre les mains des lecteurs avec J’aurai bientôt ton âge. Dédié « À la mémoire de [son] père, Arthur Pleau – 1922-1976 », ce court recueil revisite le lien filial, cet ancrage fondamental, et la part ombrageuse de sa perte à l’origine de l’élan d’écriture de l’auteur.
En cette année 2018, alors qu’il atteint lui-même l’âge auquel son père est mort, Pleau renoue avec le garçon endeuillé qu’il fut et retrouve l’émotion, le geste de ce temps : « [E]nfant / je ramassais le soleil / que l’été abandonnait / derrière la rue Saint-Vallier // je jouais à inventer le feu / qui garderait intact le langage // je collectionnais / toutes les voix // aujourd’hui encore elles m’éclairent ».
De ces voix en-allées désormais – une suite de l’ensemble intitulée « Pour saluer mon amie » rend aussi hommage à la poète Nicole Gagné, décédée en 2017 –, la plus marquante demeure celle du père, dont les inflexions auront servi de point cardinal au poète qui en témoigne sur le ton de la confidence : « [J]’aurai tout fait pour m’approcher / de ta voix / trouver refuge dans une parole / qui s’élèverait avec la mienne ». Du coup, ce « tombeau au père » que constitue J’aurai bientôt ton âgese double d’un hymne au pouvoir salvateur de la parole, s’érige en un monument à la poésie même.
Entre la jeunesse et l’âge adulte, entre le devoir de mémoire et la tentation de l’oubli, « l’ombre se souvient / du craquement de la lumière » et redessine, semble-t-il, les contours d’une vie dans le vif de son aventure : « [C]haque trait avance / à la manière d’un animal / dans la pulsation du papier », constate le poète alors qu’il refait son parcours « tel un décalque / dans l’effleurement des feuilles ».
Portée par une langue aussi simple qu’efficace, la parole de Michel Pleau recèle de nombreux vers qui, pris isolément, deviennent autant d’aphorismes propres à nourrir la réflexion tant ils nomment en une implacable sagesse l’ultime réalité de notre sort commun. « [L]es morts ne savent rien de la mort », observe-t-il, avant de révéler comme un enseignement ce qu’il retient de l’expérience intime qu’il a faite de la privation : « [J]e sais que l’absence / est l’infini reflet de soi ». En somme, ce petit recueil est un grand livre qui nous invite à saisir et à goûter l’instant qui passe, en nous rappelant que « jour après jour le poème attend / là où vivre est un verbe plus lent ».
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