Brosser le portrait d’un homme public encore vivant relève du défi, parfois de la présomption. Quand le personnage a nom Jacques Parizeau, il faut au biographe un assez vif goût du risque. Or, Pierre Duchesne tient le pari plus que convenablement. Il ne succombe, en effet, ni aux pièges de la complaisance, ni à ceux de la charge hargneuse, ni à ceux du voyeurisme. Ainsi, il départage avec tact et un jugement très sûr ce qui relève clairement du secret d’alcôve et ce qui, bien qu’appartenant normalement à la sphère du privé, jette un éclairage utile sur les imprudences de l’homme public.
On appréciera dans cette biographie encore en mouvement le soin qu’apporte Pierre Duchesne à enraciner Jacques Parizeau dans son temps et dans sa culture familiale. L’homme, en effet, a toujours eu un style sans pareil, patricien dans une société où règne la génération spontanée, clairement professoral jusque dans ses moindres échanges, sûr de ses moyens et tranchant dans ses verdicts, mais aussi cinglant dans la stigmatisation de ses erreurs les moins manifestes. Cela est si peu courant qu’il fallait l’expliquer : en remontant l’arbre généalogique, en recréant le climat familial, en révélant la tiédeur des mâles du clan face à la politique et la ferveur des femmes face à ce monde pourtant masculin, en montrant combien de réseaux ont contribué à faire d’un surdoué un économiste tôt confronté aux tâches les plus lourdes et superbement équipé pour les affronter dès la jeune trentaine.
Certains s’étonneront peut-être du sous-titre choisi par Pierre Duchesne : Le croisé. Il est pourtant d’une belle justesse. Chez Jacques Parizeau, en effet, la cause importait autant et plus que l’analyse technique.