S’il fallait ne disposer que d’un seul ouvrage d’analyse et de réflexion sur la civilisation musulmane, son histoire, son développement, sa condition présente, ce serait celui-ci : Islam, de Bernard Lewis. Cet historien polyglotte, né en Grande-Bretagne d’une famille de confession juive, est, à presque 90 ans, le plus célèbre islamologue vivant, voire de l’histoire. Cet enseignant à Princeton depuis 1984 livre, ni plus ni moins, que son testament intellectuel.
Dans une remarquable introduction, Bernard Lewis décrit d’ailleurs son parcours professionnel. Il y discute avec brio de sa conception de l’étude de l’Histoire, de l’enseignement et de la recherche, de la vie académique, des thèmes qui passionneront assurément les enseignants et étudiants en sciences humaines.
L’ensemble réunit, en quelque 1300 pages bien tassées, les meilleurs écrits d’une longue et productive carrière. L’auteur nous plonge ainsi en plein cœur du cheminement historique de la civilisation islamique, depuis son apparition au VIIe siècle jusqu’à l’après 11 septembre. Sont ainsi savamment analysés, mais dans un langage accessible, la place des Arabes dans l’Histoire, les relations de l’islam avec les juifs, l’islam et la démocratie, ainsi que des sujets plus d’actualité, tels le conflit israélo-palestinien ou la dérive terroriste.
Son analyse du recul historique de l’islam et de son rapport à la modernité, et les sentiments actuels d’une partie de la communauté musulmane, intéressera tous ceux qui ont vu l’islam entrer avec force ces dernières années dans l’actualité internationale. « Depuis quelque temps, il s’est produit dans ces pays un revirement des esprits, un mouvement de réaction contre la civilisation de l’Occident et contre les institutions caractéristiques qui lui sont associées, telle que la démocratie libérale et la libre entreprise. Tel étant l’état des esprits, toute occasion de montrer sa force et de s’en servir contre l’Occident est une source de profonde satisfaction. »
L’auteur déplore la longue léthargie de la civilisation arabo-musulmane depuis quelques siècles (« la glorieuse civilisation d’autrefois est tombée bien bas ») et insiste sur la nécessité pour elle non pas de se cantonner dans sa rigidité religieuse, mais de remodeler ses schémas de pensée, d’adopter de nouvelles perspectives, de faire place à la création. Sans quoi elle restera sujette à la domination étrangère, qui est son lot depuis plus de deux siècles.