Visant toujours une impureté de la poésie, Pierre Perrault a voulu que sa parole respire l’histoire vécue au quotidien, avec douleur, tendresse et colère. Cette conscience affolée trouve sa réussite littéraire lorsque l’intention polémique se laisse emporter par la vitalité des signifiants, tandis que sa contamination par le discours critique peut parfois lui jouer de vilains tours.
Dans Irréconciliabules, on retrouve ces deux versants d’une poésie engagée. D’un côté un discours qui s’implique politiquement, mais en semblant couler avec naturel des conflits mêmes qui traversent le Québec. De l’autre, des passages où la forme poétique, plutôt molestée, ne fait que nuire à la force d’un propos plus rationnel.
D’abord publiée en 1995 chez l’Action nationale et maintenant dédicacée au défunt Rosaire Morin, cette suite de poèmes veut pourtant dire la québécitude, s’adresser à ses tenants avec la verve de celui qui souffre et imagine avec son peuple. Fidèle à son habitude, Pierre Perrault y use abondamment de citations, autant de Roland Giguère que de Bernard Landry, situant sa parole dans un échange qui donne forme au conflit que le poème invite à maîtriser. Erratique et inégal comme la vie, Irréconciliabules jacte et harangue, beaucoup moins innocemment qu’au temps de Chouennes et de Gélivures : « […] comment dire ce que je voudrais bien lui dire… pour qu’il se reconnaisse… au petit Québec de ce matin où je me prends à espérer une fois de plus… »
Même si, dans la partie très prosaïque intitulée « Peau-rouge-gorge », l’évocation de Jacques Cartier et des tout premiers contacts avec l’Amérindien ne manque pas d’originalité dans son traitement, le Perrault que je préfère est tout de même celui qui ouvre son livre avec un court poème manuscrit, puis avec une envolée plus épique, malheureusement parsemée de points de suspension comme la plupart des pièces du recueil. Chamberland, Miron, Charron et bien d’autres ont usé d’une telle prose politique dans leurs recueils poétiques, et la tentative est loin d’être aisée. Mais dans ce cas-ci, on sent que la mise en contraste n’opère pas à part entière, et qu’une épuration et une refonte eussent grandement aidé à créer un rythme plus efficace.
Ce livre ne devrait pas être considéré comme le testament de Pierre Perrault, rôle que le récent coffret de ses documentaires est bien plus à même de jouer. Certains morceaux en demeurent toutefois les pierres significatives d’une géographie poétique telle qu’on en voit rarement, ce pourquoi Perrault lui-même réclama des « poètes de chair et de sang », le sang de la naissance et de la circulation.