Presque dix ans après la disparition de Pierre Perrault, les Écrits des Forges publient Irréconciliable désir de fleuve, qui regroupe les derniers moments de son œuvre poétique : Le visage humain d’un fleuve sans estuaire (1998) et Irréconciliabules (1995). Les grands thèmes de Perrault y sont toujours présents : l’amour du fleuve, le besoin de nommer le réel, la quête du pays, le désir d’origine. Son langage, fidèle compagnon, regorge des parlures des habitants du bord de l’eau, des assoiffés du large, oscillant entre la douceur des galets et la violence du torrent. Par ailleurs, l’intertextualité (Gérald Godin, Gaston Miron, Rina Lasnier, Jacques Brault et combien d’autres voix encore), qui est au cœur même de la composition d’Irréconciliabules, ne manque pas de rappeler la dimension dialogique de son approche du travail poétique tout comme de la responsabilité historique.
Toujours engagée, toujours enragée, « en toute partialité », sa poésie s’insurge, s’exclame, s’emporte. Elle se fait chant, pamphlet, tape sur l’épaule ou coup de pied au derrière. Hantée par la soif « de vivre les mots avant de dire la vie », elle prend des allures de débordement, de déversement, comme si elle n’en pouvait plus de réclamer son droit, sauvage et natal, à « l’immense inconnu ». Or, ce qui frappe encore plus qu’à l’habitude dans ces derniers écrits de Perrault, c’est l’urgence de voir advenir « l’improbable », d’œuvrer à « la suite du monde », ici et maintenant, tout de suite, « avant qu’il ne soit trop tard ».
Le poète n’a plus de temps et il le sait, « car le moment est venu de passer de la parole aux actes ». Et qu’on adhère ou non au discours de Perrault sur le pays, on n’en reste pas moins ébloui par la droiture avec laquelle il a su mener son œuvre, naviguant contre la fatigue – la sienne comme celle de son peuple –, affrontant la fin comme le commencement, avec force et obstination, mû bien plus souvent qu’autrement par la seule énergie du désespoir. Et où que l’on soit, aujourd’hui encore, lorsqu’on entend frapper la mer, c’est un peu de la voix de Perrault qu’on entend. Qui nous fait signe, simplement. Chaleureusement. Et ô combien amicalement !