L’expropriation des habitants des petits villages à l’intérieur de ce qui sera le parc national de Kouchibouguac au Nouveau-Brunswick, créé en 1969, a suscité et suscite encore beaucoup d’amertume en Acadie.Chansons, films, pièces de théâtre, reportages ont commenté la résistance des habitants, résistance qui s’est articulée autour de Jackie Vautour qui lutte toujours pour faire reconnaître son droit à demeurer là où il est né, dans le village maintenant rasé de Claire-Fontaine.À son tour, Jean Babineau raconte cet épisode dramatique en centrant son roman sur le personnage de Jackie Vautour. Le titre, Infini, est explicite : cette lutte n’est pas terminée, et peut-être n’aura-t-elle jamais de fin.Le roman est divisé en deux parties égales ayant chacune vingt-neuf chapitres en miroir, ceux de la seconde section s’agençant avec ceux de la première. Il suit la chronologie des événements, de la décision de créer ce parc à aujourd’hui, et est structuré autour des multiples contestations menées par Vautour et des procès qu’il a subis.Les deux premiers chapitres donnent le ton. D’un côté, Emma Kelly vit une jeunesse qui lui paraît idyllique au bord de la mer ; de l’autre, des fonctionnaires à Ottawa discutent de la création d’un parc national dont l’objectif serait d’améliorer les conditions de vie dans cette région défavorisée en développant le tourisme et en expropriant les habitants de cette zone pour permettre la conservation de la faune et de la flore. Nous sommes en 1966.Dans le petit village de Claire-Fontaine, au cœur du futur parc, un adolescent, Paul Doucet, s’interroge sur le sens du programme électoral du premier ministre Louis J. Robichaud, « Chances égales pour tous ». C’est autour de ce personnage qui, une fois adulte, travaille au parc et en écrit l’histoire que le récit se construit. Par lui, on constate l’impact des expropriations sur les anciens habitants des villages, et c’est souvent lui qui crée la relation entre Vautour et le lecteur. Mais ce roman n’est surtout pas psychologique. Les personnages sont à peine esquissés, et ce sont les gestes qu’ils posent qui les définissent.La volonté narrative se rapproche par instants d’une objectivité journalistique. Le présent est le temps de base et, quand les personnages sont anglophones, le texte est en anglais ; ainsi, les procès sont rapportés dans la langue dans laquelle ils se déroulent, ce qui accroît le côté documentaire du roman. Babineau utilise des phrases souvent courtes, au rythme saccadé qui exprime l’oppression dont sont victimes les 228 familles expropriées. Cette sécheresse stylistique est atténuée par une ironie certaine quand le romancier met en scène les détenteurs du pouvoir.À l’opposé, l’auteur introduit des éléments qui donnent une couleur poétique au récit. Que ce soit l’histoire de ce pommier, autrefois lieu de cueillette pour les enfants du village, mais maintenant strictement réservé aux animaux puisqu’il faut que la nature soit préservée à leur profit et pour le plus grand plaisir des touristes qui peuvent admirer le caractère sauvage du lieu. Ou encore la présence de Marx, Lénine et Trotski, qui évoque en un clin d’œil amusé la radicalisation de certains animateurs sociaux de l’époque. Ou enfin la transformation de Vautour en balbuzard, symbole de sa force et de sa capacité d’être au-dessus des limites que lui impose la loi. Chaque fois que le gouvernement pense l’avoir maté, Vautour réussit à trouver le moyen de reprendre la lutte. Par exemple, alors qu’il n’a plus aucun recours comme Acadien, il met de l’avant ses origines amérindiennes et se proclame Métis, ultime moyen pour réussir à se maintenir dans le parc en faisant appel à des traités depuis longtemps oubliés.Babineau trace un portrait sombre mais réaliste de cette expropriation, mettant en relief l’opposition entre la vie, peut-être pauvre, mais heureuse, des habitants et la volonté de l’État de les contraindre par la force à accepter le « progrès », ainsi que la nécessité d’un développement économique qui nie la vitalité du peuple que ce même État aurait souhaité aider.
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