Prolifique auteur de nouvelles (entre autres), passé maître dans cet art d’extraire du trivial l’angle original, Gilles Pellerin en est à son sixième recueil. Il est donc convenu de le considérer comme un spécialiste du genre de la brève littéraire. Après avoir fait paraître en 2004 ï (i tréma), il se conforme huit ans plus tard rigoureusement au même format concis, et propose cette fois soixante-six textes denses, dont la longueur varie entre une et quatre pages. Quoique la majorité soit des inédits, neuf ont déjà fait l’objet d’une prépublication dans des revues au fil des ans. Si le poids du nombre fait basculer les récits les plus anodins dans l’oubli, il n’en demeure pas moins que quelques-uns forcent leur chemin jusqu’au souvenir durable (ceux du cycle de l’enfance et du milieu de l’enseignement, en l’occurrence).
« L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; il coule et nous passons ! » disait Lamartine. La lecture de quelques textes de Gilles Pellerin suffit pour s’habituer à sa respiration narrative particulière. Comme dans la vie moderne, le temps fuit dans i2 (i carré) et il file à un rythme accéléré : pas le choix, il faut donc saisir ce qui passe, fugitif, comme ces truites que l’on attraperait à mains nues, pour faire référence au titre d’un recueil de brèves d’un autre auteur de Québec, Charles Bolduc, paru chez Leméac, également en 2012 (Les truites à mains nues). Mais les récits constituant le recueil publié à L’instant même s’inscrivent moins dans la veine optimiste d’une course au bonheur que dans le créneau crépusculaire de l’intellectuel qui fait le constat cynique, quoique résigné, de l’échec de toute vie.
À travers ces instantanés littéraires, qui sont autant de récits d’exclusions et de déviances insolites, Gilles Pellerin raconte les fêlures du quotidien, en traque les lézardes et les fissures. Il expose du coup dans un style le plus souvent ludique, paradoxalement, le vide et la solitude de nos existences que l’on mène en parallèle parmi nos semblables, indifférents, coincés eux aussi dans les dents de ce même engrenage implacable où tout se désagrège et se délite. Il ne reste comme traces de ces détresses mineures que des cicatrices indolores, des insatisfactions paralysantes et des souvenirs évanescents. I comme dans isolement ?