Hôtel Lonely Hearts, de Heather O’Neill, confirme avec brio ce que La vie rêvée des grille-pain, son précédent livre, nous révélait : une auteure en parfaite maîtrise des techniques narratives au service d’une imagination fertile.
Exception faite de la longueur, qui incline aussitôt à classer Hôtel Lonely Hearts dans la catégorie roman, l’atmosphère, la couleur, voire la démesure qui se dégage de l’univers mis en scène rappellent l’univers propre au conte, au recueil de contes d’origine persane, la frontière entre le roman et le conte étant ici ténue. Il n’est d’ailleurs nullement fait mention de l’appellation roman en couverture de l’ouvrage, l’éditeur ayant sans doute jugé que le titre suffisait à lui seul à susciter l’intérêt du lecteur.
Hôtel Lonely Hearts n’est pas sans rappeler, par moments, l’univers de Paul Auster, non pour la mise en scène du réel dans le développement de l’histoire qui nous est racontée, mais par sa capacité même de le transformer sous nos yeux tout en le maintenant crédible. Les référents et les rebondissements sont multiples, apprêtés à la façon O’Neill. Hôtel Lonely Hearts met en scène deux personnages, Rose et Pierrot, tous deux orphelins dans un monde qui, à peine sorti du premier conflit mondial de l’ère moderne, voit déferler les années folles, aussitôt suivies de la Crise, de la Grande Dépression. Rose et Pierrot incarnent à eux deux tout à la fois le bien et le mal, la fragilité et la résilience, la naïveté et la ruse, le rêve et la dureté de l’existence. Comme chez Ducharme, le salut loge ici dans l’enfance perdue que l’on ne cesse de vouloir recréer à défaut de la retrouver. Le personnage de Rose s’impose d’emblée comme la figure dominante, celle par qui les événements adviennent et s’enchaînent. Hôtel Lonely Hearts s’ouvre sur le viol d’une jeune fille douce, la mère de Rose, abusée par un cousin qui fuit aussitôt son méfait accompli en France au moment de la Première Guerre mondiale afin d’échapper à sa cousine enceinte qui n’est âgée que de douze ans. Comme il était alors d’usage, la jeune fille sera placée à l’hôpital de la Miséricorde jusqu’à la naissance de l’enfant, qui sera à son tour confiée à un orphelinat soigneusement tenu par des religieuses chargées d’inculquer les bonnes mœurs aux enfants abandonnés en les rebaptisant aussitôt Chasteté, Salomé, Déplorable, pour mieux leur rappeler le statut de pécheresse de leur malheureuse mère. Ainsi voit le jour Rose, dont on découvre très tôt le caractère imprévisible et indomptable.
La première partie se déroule dans cet orphelinat où Rose et Pierrot se côtoient et deviennent l’un pour l’autre un rempart contre les sévices qu’ils subissent jour après jour. Inséparables, jusqu’à ce que la cruauté qui règne en ces murs en décide autrement, Rose et Pierrot rêvent d’un monde meilleur. L’action se déplace par la suite dans le milieu des tripots et des maisons closes qui pullulaient à Montréal et à New York dans les années 1920. Ces lieux de tous les interdits, Rose les conquerra avant de sombrer à son tour, à la suite de Pierrot, dans la désillusion. Abusés, puis séparés, Rose et Pierrot n’auront de cesse d’être à la recherche l’un de l’autre dans un monde qui n’en a que pour le pouvoir de l’argent et la soumission qu’il impose à ceux qui en sont démunis, jusqu’au moment où, enfin retrouvés, ils partent à la conquête de leur liberté à la tête d’un cirque qu’ils nomment La Grande Fantasmagorie des flocons de neige. Leur histoire, on s’en doute, finira mal, sans pour autant empêcher la rédemption par le retour à l’enfance.
Soixante et onze courts chapitres, aux titres plus évocateurs les uns que les autres, composent Hôtel Lonely Hearts et nous entraînent dans cette fantasmagorie aux rebondissements incessants où la magie opère dès lors que l’on accepte la convention de départ : dans le monde de l’imaginaire, tout est plausible. Et le tout se décline sur fond d’érotisme troublant, comme le signale l’éditeur en quatrième de couverture, les images éclatent à chaque ligne comme autant de feux d’artifice dans une nuit sans fin.
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