Si nombre de romanciers de la modernité, de Gustave Flaubert à André Gide en passant par Henry James, réfléchirent à l’esthétique du roman, ce n’est essentiellement que depuis le tournant des années 1960, par exemple avec les travaux de Frank K. Stanzel, Claude Bremond ou Gérard Genette, que s’imposèrent les principaux ouvrages théoriques sur l’analyse du récit. Les narratologues et autres spécialistes du discours narratif n’ont cessé depuis de proposer des grilles d’analyse, des typologies et catégories diverses, ou encore des réflexions plus libres sur l’art du roman.
L’ouvrage de Jean Molino et Raphaël Lafhail-Molino est en tous points remarquable, et devrait logiquement s’imposer comme un incontournable. Homo fabulator n’est guère un ouvrage de théorie à proprement parler (quoi qu’en dise la quatrième de couverture), ni un ouvrage d’analyse, puisqu’il ne propose aucune méthodologie spécifique de lecture des textes, mais bien davantage une synthèse exceptionnellement réussie, et conçue elle-même comme une histoire, des principaux enjeux du récit. De façon systématique, mais chaque fois avec une hauteur de vue qui leur permet de dépasser largement la lunette étroite du formalisme en situant le questionnement théorique dans la perspective plus globale des sciences humaines (anthropologie, psychologie), les auteurs passent en revue les multiples caractéristiques du récit et la façon dont elles ont été traitées dans la tradition narrative, depuis les réflexions d’Aristote aux plus récents travaux de la narratologie : le personnage, l’espace et le temps, le narrateur, la représentation de la parole ou de la pensée, la description, etc. Mais nous sommes loin ici du simple résumé, les auteurs ayant pris la peine d’articuler cette histoire de la théorie et de l’analyse du récit dans un discours ample, qui se donne lui-même à lire comme un récit. Si bien que cet ouvrage passionnant est facilement accessible au lecteur non spécialiste.