Ce que l’on appelle l’esprit humain serait apparu il y a 50 000 ans à la faveur de la révolution cognitive. Celle-ci s’est produite lorsqu’une branche de l’espèce homo est devenue sapiens en acquérant la faculté de conceptualiser les choses et en leur donnant une vie propre. Depuis des siècles, les sciences humaines ont soutenu la thèse du dualisme entre le corps et l’esprit. Or, nous apprend Pier Vincenzo Piazza dans son essai,l’esprit n’est pas immatériel, il est biologique.
Comment pourrait-il en être autrement, nous dit-il, quand on constate que des substances matérielles – médicaments, psychotropes, alcool – peuvent modifier les humeurs et les états d’esprit qui, eux, sont immatériels ? Première évidence. Par ailleurs, si nos pensées et nos sentiments ont un substrat biologique et si nous partageons tous le même génome, ne devrions-nous pas être tous à peu près identiques ? « La biologie est extrêmement changeante », nous dit Piazza. D’infimes altérations se produisent constamment dans la chaîne du vivant et c’est là que peuvent se produire toutes sortes de changements aussi bien chez l’individu même qu’entre individus de la même espèce. Le cumul de ces modifications sur plusieurs millénaires finit par créer d’énormes différences, comme nous l’apprend la théorie darwinienne de l’évolution. Deuxième évidence : la biologie est une science « en mouvement », probabiliste et non déterministe.Les axiomes de la matérialité de l’esprit et du caractère évolutif de la biologie étant posés, l’auteur entend démontrer comment ces deux propriétés influent sur nos comportements quotidiens. Pour faire sa démonstration, Pier Vincenzo Piazza s’appuie sur le fonctionnement du monde infiniment petit de la cellule et surtout sur ce qu’elle contient, au premier chef nos gènes. Contrairement à l’idée que l’on s’en fait généralement, le génome n’est pas un instrument qui produit toujours la même musique – pour reprendre une métaphore de l’auteur – mais un instrument qui peut produire une infinité de mélodies. En effet, seulement 3 % de notre matériel génétique est codant, c’est-à-dire détermine les caractéristiques physiques de notre être. Le reste, soit 97 % du génome, détermine la quantité, le moment de diffusion, la destination des protéines porteuses d’instructions pour faire fonctionner le corps, etc.À partir de ces variations, Pier Vincenzo Piazza tente d’expliquer pourquoi certains individus sont plus conservateurs et d’autres plus ouverts aux changements, comment l’épigénétique (la capacité du génome à garder des traces du passé) peut expliquer le communautarisme et l’esprit de clan, comment certaines personnes exposées à l’alcool ou aux drogues deviennent alcooliques ou toxicomanes et d’autres pas, comment l’obésité est un effet du plaisir et comment celle-ci contribue à l’homéostasie du corps, etc. C’est la partie du livre la plus difficile à saisir pour un lecteur peu familier avec la biologie cellulaire.Heureusement Pier Vincenzo Piazza, médecin et neurobiologiste, est également un grand vulgarisateur. Quand il explique la mécanique fine et complexe du fonctionnement de la cellule avec les termes de son champ d’expertise, il prend toujours soin de proposer au lecteur une image, une allégorie ou une comparaison pour lui permettre sinon de tout comprendre du moins d’appréhender la nature du processus en jeu. En fin de compte, Homo biologicus permet aux non-initiés de nourrir une réflexion extrêmement stimulante sur les rapports entre l’âme, l’esprit et la matière, et sur la façon dont l’homme perçoit sa propre identité.