Le sous-titre donne le ton : une bataille se déroule au Québec depuis des décennies avec, comme enjeu, le marché du livre. Le terme, brutal et juste, coiffait déjà le dossier préparé en 1972 par Pierre de Bellefeuille, Alain Pontaut et leur équipe. Le pamphlet dissipait d’avance les malentendus : « Oui à la culture française, non au colonialisme culturel » (Leméac, 1972). Tout en quadrillant avec rigueur et minutie l’ensemble de l’édition littéraire au cours des 40 dernières années, l’ouvrage accorde une importance justifiée à cette lutte d’ailleurs inachevée. Les forces en présence, leurs stratégies, leurs visées, leurs avancées et leurs replis, tout est rappelé, situé dans le contexte, interprété avec intelligence et nuances.
Au cours de cette bataille, l’accent se déplace sans que change l’objectif ultime. On convoite tantôt la distribution, tantôt les réseaux de librairies, tantôt le manuel scolaire, mais toujours les belligérants visent à accroître ce que les MBA dénomment les parts de marché. Dès l’introduction, quelques chiffres campent le décor. « Malgré ces efforts et l’appui financier des gouvernements, en l’an 2000, les éditeurs ne sont toujours pas maîtres chez eux. Sur dix livres vendus en librairie, six proviennent encore de l’étranger. » Et l’avenir peut reproduire le passé : « L’ombre des monopoles de la distribution qui déjà au XXe siècle fixaient les règles du jeu, semble à nouveau planer sur l’édition commerciale ». Si changement il y a, il survient au palier des joueurs : « La grande diffusion prend une toute nouvelle dimension durant les années 1990 en raison de l’expansion irrésistible des chaînes de magasins à grande surface comme Costco, Zellers et Walmart. […] En 2002, la grande diffusion représentera 29 % du chiffre d’affaires global des distributeurs québécois… »
Cette toile de fond n’est qu’une des facettes du bilan établi par l’équipe de Jacques Michon. On décrit aussi l’évolution des genres littéraires, les suites du rapport Bouchard, les initiatives de quelques éditeurs futés, la transformation de Harlequin, etc.
Le ton n’est pas celui dont usaient de Bellefeuille et ses collègues. « Pourquoi, demandaient-ils, ces représentants de notre gouvernement s’emploient-ils ainsi à fausser le débat ? La raison en est claire : M. Pompidou a proprement roulé M. Bourassa… » Il n’est pourtant pas établi que nos gouvernants d’aujourd’hui comprennent mieux les enjeux de cette bataille. Qu’on pense simplement au prix unique dont le Québec n’a pas (encore) voulu.