Lauréate en 2010 du Prix littéraire Radio-Canada (poésie) pour « Était une bête » (un recueil éponyme suivra en 2014) et du Prix littéraire du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean 2014 (poésie) pour Salut Loup !, Laurance Ouellet Tremblay publie son premier récit.
Un récit tout poétique où le plaisir des mots entraîne le lecteur. L’histoire plus qu’étrange d’un personnage qui fabrique d’improbables décors de théâtre avec du papier journal a de quoi étonner. Chaque matin, Henri fait sa tournée pour récupérer les journaux invendus de la veille qu’il transporte dans son chariot de fil métallique. Histoire absurde, que la syntaxe du titre annonce déjà. C’est Henri lui-même qui raconte, Henri angoissé, en mode survie. On le sait, tout narrateur au Je peut fabuler, nous berner ; celui-ci nous invite d’ailleurs à nous méfier. Par bribes Henri raconte les moments décisifs de son passé et l’événement qui survient au faîte de sa folie : après avoir longuement réfléchi à la façon de s’y prendre pour « se creuser la tête » comme l’y enjoint la grande comédienne Catherine, Henri trouve dans une cuillère à pamplemousse dentelée l’outil pour se la creuser, à partir de la tempe gauche.
Univers des plus étranges, qui nous amène à nous interroger sur le projet de l’auteure. D’autant plus qu’elle livre, à la fin de son court récit, des indices, révèle les noms des auteurs, poètes, dramaturges, bédéistes, romanciers, chanteurs, historiens de l’art et philosophes chez qui elle a « pillé », dit-elle, un mot, une expression, une phrase, trafiqué un titre de pièce de théâtre. Or ces créateurs forment un large éventail de modes d’expression artistique parfois très éloignés les uns des autres. Néanmoins, leur exploration de l’absurde et du non-sens de même que l’importance qu’ils accordent au verbe, à l’invention verbale et aux images saisissantes ou cruelles créent entre eux un rapprochement. C’est du moins ce que suggère Laurance Ouellet Tremblay en pointant les traces d’intertextualité camouflées dans son récit où l’imagination et la poésie s’allient à l’absurde. Et ce qui nous autorise à y voir une écrivaine qui, à la manière d’Henri qui découpe, fignole, fait « se rencontrer les bandes » pour construire ses décors, s’est employée à réaliser une sorte de mosaïque empruntant à tous ces artistes qui l’inspirent et auxquels elle s’associe. Et comme toute œuvre de l’absurde, Henri de ses décors laisse de quoi nous creuser la tête…