La réédition d’Helen avec un secret participe d’un travail éditorial entrepris par la Bibliothèque québécoise pour redonner sa cohérence et son importance à l’œuvre de Michael Delisle au sein du corpus québécois contemporain. Surtout primée pour sa poésie, cette œuvre trouve néanmoins dans la prose, roman comme nouvelles, une forme qui est à même de dire la quotidienneté.
La banlieue est un espace fort chez Delisle, un lieu de transformations – ce par quoi l’auteur déroge des productions lisses contemporaines – et de tensions, marqué par le regard scrutateur du voisinage. Chez lui, la banlieue est une mémoire résiduelle qui amalgame enfance, famille, transgression et découverte fortuite de l’art, dans des formes souvent opposées aux legs imposés par une culture lettrée. Dans la nouvelle qui inaugure Helen avec un secret, « Terre en friche », dont le titre connote le caractère à la fois mortifère du lieu et ses transitions subtiles, le narrateur évoque avec une candeur dérangeante sa découverte des charmes de la voisine monoparentale et du talent artistique de son frère, dont les mains lestes créent des pièces de bois magnifiques, génie qui dépasse la musique classique que le narrateur pratique dans la contrainte. Le savoir (dans la magnifique nouvelle « L’eau de Javel ») et l’art oscillent alors toujours entre l’apprentissage et la pulsion, entre le transmis et l’intuitif, à partir de ce qui émerge d’une banlieue « hideuse et veule ». Celle-ci offre néanmoins une protection, un habitacle parcouru susceptible de disjoindre le narrateur des drames et échecs de la ville (« Helen avec un secret »), de la forêt (« Des prières pour Edmond ») et des legs tronqués d’un monde du secret, des silences familiaux, des désirs bafoués, inadmissibles.
Dans les nouvelles de Delisle, ce qui frappe d’emblée, c’est le ton, sa sobriété rigoureuse, à la fois dure comme la laideur de la Rive-Sud et subjectivée grâce à des objets de beauté ou de réconfort (pièces de bois, serviettes parfumées, alcool, etc.), de même qu’un sens de l’ellipse adapté à la forme brève. Cette maîtrise manifeste colore tous ses récits, réfère à un regard pénétrant sur le monde, laisse percevoir la violence de la mémoire et des secrets ; elle ne doit toutefois pas éclipser le fait que Delisle, de cette forme même, dresse le portrait meurtri d’une enfance banale par les aléas de legs incommodes. Ces nouvelles cherchent ainsi des manières d’habiter un monde où notre place (spatiale, générationnelle, artistique, narrative) est labile.