À première vue, tout semble séparer les principaux personnages de chacun des récits du dernier Le Clézio : dans Hasard, une petite fille de douze ou treize ans part en escapade sur le Azzar, un grand voilier appartenant à un producteur de cinéma désabusé [sic] ; dans Angoli Mala, un jeune amérindien retourne vivre, après une éducation chrétienne, dans une forêt de Colombie. Mais chacun est à sa façon à la recherche d’un paradis perdu dans un passé dont on ne saurait dire s’il a déjà existé. Sur les mers, c’est le Azzar qui mène Nassima, la petite fille, à la recherche d’un père qui est parti, un jour, sans jamais revenir. Dans la forêt, Bravito remonte la rivière pour aller là où personne ne va plus, et retrouver la liberté de ses ancêtres. Il y rencontre un jaguar qui le fascinera par sa ressemblance avec Nina, la femme aimée et perdue. Il imitera le félin, en rongeant un tronc d’arbre qui le guérira d’une fièvre : « C’était le jaguar qui lui avait montré l’arbre, et Bravito n’en était pas étonné. Ici, c’était un autre monde, le monde d’avant le mal, quand les animaux savaient parler. » Peu à peu, il sombrera dans ce qu’on appelle communément la folie : il accédera à un savoir primitif, où les mots des hommes deviennent des récifs où l’on va s’échouer…
Si l’héroïne de Hasard ne s’était pas fait passer pour un garçon, Juan Moguer, le propriétaire du bateau sur lequel elle s’est embarquée clandestinement, ne l’aurait certainement pas gardée : « Comment tu t’appelles ? — Nassim, dit Nassima. » Et c’est sur le modèle de cette réplique que le roman se construit. Comme Nassima, on peut croire que c’est le hasard qui emporte l’écriture de Le Clézio. Mais, comme dans un roman policier, chaque chose finit par reprendre sa place, par s’expliquer.