Qu’est-ce qu’écrire ? Qu’est-ce que vivre ? Si le propos de ce petit livre au ton intimiste est souvent déstabilisant, il possède néanmoins un étrange pouvoir d’apaisement.
Le sous-titre de cet essai à la fois bref et dense précise que l’autrice, Frédérique Bernier, s’exprime à travers l’esprit singulier du personnage de Frida Burns. Ce brouillage de frontière, entre document et fiction, pourrait être vu comme une entrée en matière. L’ensemble de l’écrit est en effet marqué par une ouverture assumée et explicite à l’ambiguïté, en tant que voie privilégiée de relation au monde. La narratrice confesse ainsi une sérieuse dépendance à la littérature, bien qu’aucun livre en particulier ne lui ait apporté la béatitude implicitement promise. Si aucune œuvre ne fut pour elle un « refuge définitif », certaines furent toutefois des « refuges temporaires », là où, dit-elle « j’ai enfin pu, pendant le séjour qu’elles m’offraient en leurs pages, cesser de passer toute mon énergie à éviter la débâcle ». Précision non négligeable, elle avoue s’être sentie à l’étroit dans les trames narratives bien construites, trouvant les œuvres plus informes davantage aptes à « capter l’étrange saveur d’être au monde ». Conséquente, donc, Frédérique Bernier nous offre un déploiement plutôt intuitif de ses Hantises.
Loin de se contenter de références au monde strictement littéraire, l’autrice, forte de sa formation initiale en philosophie, déroule son écheveau réflexif en compagnie des Fichte, Hegel, Nietzsche, Benjamin et autres penseurs de la condition humaine. On ne s’étonne donc pas de trouver dans l’essai un chapitre consacré à la critique de l’aliénation capitaliste. Au-delà de la dénonciation d’un mode de production délétère, Bernier y prend ses distances par rapport à l’idée même de possession, en tant que source de dérives identitaires et de luttes territoriales. Elle en arrive ensuite à se questionner sur son attrait pour le sombre : « D’où me vient cette proximité étrange, cette entente familière avec les œuvres travaillées de l’intérieur par une déchirure (la guerre, la folie, la déréliction, la dépossession qu’elle soit sociale ou intime) qui, souvent infiniment douloureuse, me semble toutefois illuminer ces textes d’un éclat d’une humanité incomparable ? » Déclarant cette affinité, elle s’inscrit en faux contre une Nancy Huston fustigeant les « professeurs de désespoir ». Dans cette direction, je ne peux toutefois plus la suivre, puisque je partage entièrement la détestation de Huston pour les éteignoirs qui, drapés dans leur superbe, ne daignent pas s’abaisser à réparer le monde.
Reste que la lecture de ce petit livre, remarquablement écrit, m’a apporté du réconfort en ce qu’elle m’a aidé à relativiser l’importance du drame planétaire vécu à partir de mars 2020. En partageant son appréhension de l’instabilité, du vertige et du désemparement que l’on retrouve dans le fait à la fois de vivre et d’écrire, Frédérique Bernier dégage un espace de méditation, et peut-être de consolation.