Pour nous qui vivons une époque où les voyages sont devenus si communs que nous avons pratiquement perdu de vue les réelles dimensions de notre planète ou ce que nous appelons « l’échelle humaine », à ce point faussée quelle nous laisse à tous l’impression d’une Terre si petite qu’il nous est possible de nous rendre partout en un rien de temps, il est quasiment irréalisable d’apprécier les parfums subtils et enivrants qui devraient se dégager des récits de voyage d’un Chateaubriand ou d’un Stendhal, voire même des grands reportages d’un Ernest Hemingway ou d’un Roger Lemelin. Il y a pourtant certains domaines de l’expérience humaine où il nous est encore impossible de nous rendre personnellement et de constater de visu ce qu’il nous faut bien encore découvrir au travers des pages de revues spécialisées ou sous la plume de témoins directs et privilégiés. Par exemple, la plupart des sites d’art rupestre, vieux de plusieurs dizaines de milliers d’années, sont soit carrément interdits au grand public comme les célèbres fresques de la grotte de Lascaux -, soit confinés au secret pour les préserver des touristes – comme les fresques amérindiennes peintes à flanc de falaise quelque part dans le fjord du Saguenay , ou encore plus banalement parce qu’ils sont perdus au milieu des déserts les moins accessibles du monde.
Jean Clottes est l’un de ces témoins privilégiés qui ont fait une carrière extraordinaire en se faufilant dans les hauts lieux de l’art du début de notre humanité. Son petit livre lumineux n’en est pas un d’expert, mais d’artisan passionné qui nous raconte, sous la forme d’un carnet de voyage, son travail et ses pérégrinations aux quatre coins de l’univers, comme on le disait il n’y a pas si longtemps encore, à la recherche des morceaux choisis du génie esthétique de ceux qu’on appelle un peu vite les hommes primitifs.
Ce récit de voyage et de passion porte la voix d’un scientifique libéré des règles rigides de son métier et a l’aisance et la douceur d’un homme qui desserre sa cravate, un verre à la main, causant de sa pratique pour le plaisir de la conversation. L’homme lève le voile sur son expérience et se risque même à des confidences sur un monde professionnel dans lequel il est souvent de bon ton de ne rien laisser transpirer des tensions humaines qui s’affrontent sur le terrain et où la langue de bois laisse trop souvent penser que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Le témoignage de Jean Clottes a en outre l’avantage de tracer un portrait humain de la science et du scientifique. Aujourd’hui, dans notre monde postindustriel, postmoderne occidental où le Dieu des cours classiques est bel et bien mort, les artistes et les scientifiques ont trop souvent pris la place des prêtres et des évêques d’hier et, à l’image de ces anciens maîtres à penser, il est obligatoire de les montrer, acceptant les artefacts et les habits de ce chamanisme contemporain, comme des images d’Épinal que le vice et le trivial n’atteignent pas. Aussi lorsqu’un « Prométhée » se glisse parmi eux, c’est toujours un délice et un grand service rendu à tous. Comme l’écrivait Molière je paraphrase : « Si grand que tu sois, tu n’es jamais assis que sur tes fesses. »
Pour cette raison et plusieurs autres qui relèvent du plaisir enivrant de voyager assis dans un fauteuil, ce petit livre fera votre bonheur et votre contentement. Du gâteau vous dis-je !