Le père Georges-Henri Lévesque est considéré par d’aucuns comme le grand-père de la Révolution tranquille. Il a indéniablement semé les premiers germes de la décléricalisation du Québec dès les années 1930.C’est principalement à propos de la question de la non-confessionnalité des coopératives que s’opérera chez lui la rupture avec le principe de l’hégémonie cléricale. Comme beaucoup d’intellectuels de sa génération, le père Lévesque est ébranlé par la crise économique, qui remet en cause le capitalisme dans sa globalité, et cherche à créer un monde nouveau, moins cruel pour le prolétaire. Pour lui, la coopération est la voie de l’avenir. Or, dans le monde de la coopération, la neutralité religieuse est le mot d’ordre universel : juifs, protestants, catholiques et athées peuvent très bien unir leurs forces pour un monde plus juste et solidaire. Au Québec, cependant, où l’Église contrôle tout ce qui bouge, y compris les institutions socio-économiques comme les syndicats, ce principe passe pour une hérésie. Il n’a pourtant rien de scandaleux pour le père Lévesque, qui n’y voit d’ailleurs pas d’incompatibilité avec ses valeurs de prêtre et de croyant : la coopérative peut très bien concourir aux idéaux chrétiens de partage et de charité sans s’afficher comme catholique.De même, lorsqu’il sera appelé à fonder l’École des sciences sociales de l’Université Laval en 1938 (devenue faculté en 1943), institution qu’il dirigera jusqu’en 1955, il ne fait aucun doute dans son esprit que les sciences sociales sont, justement, des sciences, ce qui nécessite une étude des faits qui soit distincte d’une pure analyse de saint Thomas d’Aquin et des encycliques. Or, cela ne va pas de soi à cette époque, où l’Université Laval dépend directement de l’épiscopat et se donne comme mission première la diffusion des enseignements de l’Église. Encore une fois, pour le dominicain, l’un n’empêche pas l’autre : la mission apostolique de l’Université a sa raison d’être, mais on ne peut changer le monde sans savoir faire un état des lieux et étudier comment il évolue.On saura gré à l’auteur de cette riche étude historique de s’être plongé honnêtement dans les réflexions intellectuelles d’un prêtre des années cléricales du Québec tout en évitant les lieux communs méprisants et superficiels auxquels succombent beaucoup de nos contemporains en la matière, et au contraire en faisant entrer le lecteur de plain-pied dans cet univers si différent du nôtre où l’on constate que, malgré une rigidité indéniable de certains éléments institutionnels, la foi qui animait le corps clérical et une bonne partie du laïcat de cette époque avait quelque chose de sain et de solide et se traduisait par une volonté sincère et rationnelle d’améliorer le monde. « Georges-Henri Lévesque incarne au Québec tout le problème théologico-scientifique au cœur de la crise moderniste. […] Comment a-t-il concilié […] d’une part, le lien indissoluble formé par la croyance en Dieu, par la Vérité qu’Il a révélée aux hommes ainsi que par la soumission à l’Église qui l’incarne dans l’histoire; d’autre part, l’appartenance à une communauté scientifique aspirant librement à une connaissance vérifiable du réel et régie uniquement par les règles de la raison inductive ? »L’auteur prend d’ailleurs la peine d’offrir à son lecteur une longue introduction présentant l’historique de l’Ordre des Prêcheurs – couramment appelés « dominicains » –, auquel appartenait le « moine laïcisant ». Il remonte jusqu’à la fondation de l’ordre au XIIIe siècle, pour ensuite esquisser ses premiers pas au Canada, tout d’abord à Saint-Hyacinthe (1873), puis dans deux paroisses franco-américaines et enfin à Ottawa (1884), Montréal (1901) et Québec (1906). Ce détour historique, en soi passionnant, prépare aussi admirablement le terrain au récit qui suivra : car les combats que le père Lévesque a dû livrer toute sa vie contre les autorités cléricales et politiques ne sont pas sans parenté avec l’histoire même de son ordre, qui a toujours été perçu comme plus ou moins subversif.« Plusieurs fois mentionné, rarement étudié, le père Lévesque est partout et nulle part à la fois dans l’histoire du Québec contemporain. » Cet ouvrage comble ainsi superbement une lacune historiographique en exposant avec transparence et intelligence les différentes facettes du parcours intellectuel et politique de George-Henri Lévesque, depuis sa bataille inaugurale sur la non-confessionnalité des coopératives et la défense de la rationalité laïque à l’université jusqu’à sa contribution déterminante à la Commission Massey (1949-1951), qui déclenchera l’instauration du financement fédéral des universités malgré la farouche opposition d’un Duplessis qui y voyait le cheval de Troie de l’ingérence fédérale.
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