Ils se sont connus quand ils étaient enfants ; ils fréquentaient la même école, ils habitaient le même village, jouaient ensemble dans les bois, toujours sur la même rive du Palus, ils ne traversaient pas les ponts. Puis les grues vinrent combler ce bras de la rivière, on parla d’expropriations ; ils se quittèrent alors adolescents. Bien des années plus tard, Thérèse les invite à venir passer une fin de semaine dans une grande villa, sans conjoints, sans enfants, dans cette région habitée de souvenirs partagés.
Le texte commence par des phrases courtes, précises, qui dessinent rapidement une image condensée des lieux, du moment des retrouvailles, du plaisir d’être tous là. Sauf Gabrielle. Son frère François essaie de le rappeler, mais personne ne semble l’entendre. Est-ce bien en 1951 que Gabrielle est morte ? Cette question reste en suspens et rôde à travers tout le livre jusqu’à ce que Jacqueline, son amie, la narratrice du roman, se décide à parler. Elle se revoit dans la brume, devant le corps inanimé de l’adolescente, au pied des escaliers menant à cette maison délabrée. Non, Gabrielle n’est pas morte d’une crise d’asthme comme l’a affirmé un médecin !
Denyse Delcourt est médiéviste ; elle enseigne à l’Université de Washington, à Seattle. Est-ce sa connaissance des textes importants du Moyen Âge qui la guide pour écrire ce roman ? Nous avons quelques titres fabuleux en tête, La chanson de Roland et Le roman de la rose par exemple, qui nous plongent au delà du réel ! L’auteure nous fait basculer, ici aussi, dans un univers qui n’existe pas, qui subitement et sans raison apparente, disparaît. Gabrielle est attirée par cette maison, par Maria mais surtout par son frère Walter qui l’appelle Mon amie, Petite Soie, Gabrielle des Esprits Il lui donne rendez-vous dans un caveau souterrain, perdu dans les bois ; des marches glissantes y donnent accès ; ils valsent la nuit sur un étang gelé ; il lui parle des loups et lui apprend leur cri. Elle découvre l’amour puis, tout s’évanouit, le caveau humide, l’étang gelé, les mots doux de Walter ! Et Gabrielle se meurt d’amour, à 15 ans, devant une maison vide.