Immense personnage qui méritait une monumentale biographie. Non seulement Fulgence Charpentier a-t-il, selon son vœu, touché à trois siècles, mais il a rempli à ras bord chaque phase de sa trajectoire. Journaliste, diplomate, dramaturge, enseignant, haut fonctionnaire, pilier d’une société secrète, il maintint pendant plus longtemps que quiconque un tempo à décourager tout rival. On trouve d’ailleurs sa marque dans une gamme de domaines : bibliothèque municipale, cours de journalisme, choix du nom Alouette pour une escadrille canadienne, cercles de gastronomes, accueil des dignitaires à l’Expo 67, ouverture d’une ambassade au Cameroun, etc. Ne retenir de lui que sa carrière de journaliste serait injuste et réducteur. De cette omniprésence découlent certaines interrogations. Comment un journaliste, surtout porté au commentaire, peut-il siéger au conseil municipal de sa ville ? Comment un diplomate/journaliste peut-il prendre parti lorsque entre en jeu l’opinion du gouvernement qui l’emploie ? On comprendra, à la rigueur, qu’un journaliste dirige les services de censure pendant cinq ans, puisque la guerre impose ses priorités à tous les citoyens et que d’autres, y compris Davidson Dunton au Canada anglais ou Jean Giraudoux en France, ont tenu un rôle comparable, mais comment expliquer que, le conflit à peine terminé (30 août 1945), une directive émane du service dirigé par Charpentier et exige « d’ici la fin de semaine » la destruction de tous les câbles, télégrammes, radiogrammes… ? Même en tenant compte de l’époque, on peut aussi s’étonner qu’un journaliste agisse comme cheville ouvrière de l’Ordre de Jacques-Cartier, société discrète qui aimait à guider l’opinion et n’avait pas la transparence comme devise. La biographie de Charpentier appelle un jugement nuancé. Elle ne néglige rien pour que soient reconnus les mérites considérables d’une véritable légende. Sur ce front, mission superbement accomplie : la recherche ne chôme jamais, les témoins compétents sont retracés, les références abondent et surabondent. L’ouvrage tient pourtant de l’hommage plus que de la biographie. Les vues de Charpentier ne sont jamais évaluées, même quand elles manifestent plus de loyauté fédéraliste que de neutralité journalistique. Il est inélégant d’accuser Camillien Houde de s’opposer à la conscription pour mieux séduire l’électorat. Tout comme il est disgracieux de remercier le docile Mgr Briand d’avoir conduit le Canada à l’autonomie. Quant à l’iconographie, elle fait voisiner l’important et le futile, l’histoire et le carnet mondain.
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