On sait, au moins depuis Aragon, qu’un style éblouissant ne garantit pas nécessairement l’élégance du cœur. La biographie de Françoise Giroud fournit un éloquent exemple de cette étonnante et toujours possible schizophrénie. Journaliste à la plume acérée, prêtresse d’une écriture économe et cinglante, Françoise Giroud aura investi ses talents et ses immenses énergies dans l’épanouissement de sa carrière plus que dans toute autre cause. Christine Ockrent n’a donc pas à forcer le trait pour révéler en Françoise Giroud une propension monstrueuse au cynisme, aux jeux de coulisses, à la dénaturation de tous les rapports humains. Qu’un François Mauriac, pourtant orfèvre en méchanceté, en soit sidéré, cela indique assez quelle implacable et malsaine ambition animait celle dont nul ne conteste l’efficacité journalistique. Que Simone Weil s’en soit éloignée achève de convaincre.
Le titre donné par Christine Ockrent à cette biographie sonne infiniment juste. Il s’agit, en effet, d’une ambition toujours en éveil et prête à tous les calculs. Tout comme il s’agit d’une ambition résolument française : Françoise Giroud a tant voulu être française qu’elle a poussé à la limite l’amnésie par rapport à ses origines.
Jugement excessif de la part de Christine Ockrent ? Certes pas, tant les faits témoignent. Un immense talent et un labeur acharné ne peuvent compenser, en effet, le recours aux lettres anonymes, l’acharnement contre ceux et celles qui ménageaient une place à leurs proches à côté des obligations professionnelles, l’ostracisme systématique à l’égard des épouses toutes perçues comme des potiches ou des concurrentes, l’insertion fielleuse des confidences dans des romans conçus comme des ogives.
L’éditeur, d’entrée de jeu, fait savoir que Françoise Giroud tenait à Christine Ockrent comme biographe. Peut-être son ambition aveuglait-elle Giroud sur la perception que les autres, y compris Ockrent, pouvaient avoir d’elle.