L’argument principal de Francis d’Alexandre Michaud est la recherche par le héros-narrateur Antoine Lavoie de matière à écrire. Grand liseur solitaire, très influençable et coincé à quinze ans dans une maison délabrée entre « des parents invalides dans tous les sens du mot », ce fils unique accepte la proposition de Francis Pigeon, le leader d’une bande d’adolescents peu orthodoxes de la polyvalente d’Amqui, de partager des aventures qui lui permettront de réaliser son projet.
« J’aimerais écrire des histoires. Un roman », lui avait en effet confié Antoine. « On fait un pacte, OK ? », avait rétorqué Francis : « Tu me suis dans mes histoires de fou qui m’arrivent à tous les jours, pis je te jure sur la tête de ma mère décédée que tu vas trouver l’inspiration ! » C’est alors que commence la naissance au monde extérieur du timide Antoine, qui participe, pas toujours librement, aux activités mouvementées de la troupe de Francis, personnage volontiers porté à faire la foire et dont la morale élastique ne craint pas les attitudes et les gestes osés, déplacés, voire carrément abjects. Le chef de bande entraîne du même coup le romancier en devenir sur la pente de l’alcool et de la marijuana, dont on fait abondamment usage dans le groupe, et des libertés sexuelles également. D’envies de vomir en comas éthyliques, Antoine parvient à trouver l’inspiration. Il écrit quelques lignes, qui ne le satisfont toutefois pas. Afin de mettre le point final à son roman, il retourne chez Francis après un mois d’absence. Ce dernier lui donne à manger des brownies à forte teneur en « pot » et lui révèle que c’est lui l’écrivain en lui montrant « des liasses de papier » : « T’es dans mon roman », lui lance-t-il deux fois. Incapable de bouger, comme paralysé, Antoine émerge d’« un sommeil pesant » puis, toujours sous les effets hallucinogènes de la drogue, il sort dans la tempête, grimpe dans une vieille tour brinquebalante et vermoulue au sommet de laquelle, dit-il en coda, « le néant m’appelle. Il m’attend ».
Issu d’un mémoire de maîtrise en littérature obtenu à l’Université de Montréal, le roman d’Alexandre Michaud s’achève ainsi dans une aura floue reflétant l’état mental d’Antoine. Cette finale à renversement auctorial découle assez naturellement des très nombreuses péripéties qui y conduisent. Chaque page, en effet, multiplie les épisodes que note Antoine dans un cahier et il serait long d’en faire le compte. Plus de 50 personnages nommés s’agitent d’ailleurs dans ce récit qui occupe un espace temporel d’environ une demi-année. En plus du langage classique, on y retrouve un parler cru incluant à l’envi les sacres populaires que la société québécoise connaît bien. Le tout se déroule à Amqui, d’où vient le père d’Alexandre Michaud, et ce dernier y a passé lui-même une partie de son existence. L’endroit est décrit comme un milieu médiocre, rétréci : une « petite ville de suicidés perdue dans la vallée de la Matapédia ». Par ces propos peu laudatifs, l’écrivain ne se fera sans doute pas beaucoup d’amis chez les Amquiens, mais son récit lui aura valu d’obtenir à 31 ans le prix Robert-Cliche du premier roman.