Jean-Philippe Toussaint, romancier phare des éditions de Minuit, avait fait une entrée remarquée sur la scène littéraire, en 1985, avec son premier roman, La salle de bain. Il cultive depuis les personnages atypiques et mésadaptés, d’une émotivité trouble et nerveuse, qui sont servis, dans leurs observations maniaques de la réalité, par une action minime et des descriptions précises qui se donnent souvent à lire pour elles-mêmes. Les fans de Jean-Philippe Toussaint apprécieront son dernier livre.
Le roman s’ouvre sur l’arrivée à Tokyo du narrateur et de Marie, laquelle, à la fois styliste et plasticienne, vient inaugurer une exposition d’art contemporain. Cependant, ils vivent leurs dernières réserves amoureuses. « Il y avait ceci, maintenant, dans notre amour, que même si nous continuions à nous faire dans l’ensemble plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable. » Ils vont consommer leur rupture en faisant l’amour une dernière fois tant bien que mal, lui se défilant d’emblée, elle le relançant jusqu’aux petites heures du matin, après qu’ils aient erré, à moitié habillés et épuisés par le manque de sommeil, dans les rues hivernales de Tokyo. Dans la seconde partie, le narrateur fuit chez un ami qui habite Kyoto, où il s’offre une cure de sommeil et essaie de prendre une certaine distance face à ce qui leur arrive. Revenu à Tokyo de nuit, il se faufile à l’intérieur du Contempory Art Space, comme s’il voulait y retrouver Marie, arpentant les salles avec entre les mains un flacon d’acide chlorhydrique ; puis il gagne un sous-bois où, las et brisé, il verse le flacon sur une fleur sauvage.
L’histoire se termine sur cette scène curieuse, qui est tout à fait dans le ton du roman, dont l’univers paraît quelque peu halluciné. Le geste ultime du narrateur, qui traduit toute la violence de ses sentiments, son désarroi et son angoisse, marque définitivement sa rupture avec Marie, inscrit symboliquement la mort de Marie. Incidemment, depuis Les fleurs du mal de Baudelaire, il y a toute une imagerie littéraire qui de diverses manières rappelle que l’amour n’est jamais simple. On se souvient que chez Boris Vian les poumons de Chloé sont attaqués par un nénuphar (L’écume des jours) et que chez Raymond Queneau les fleurs bleues poussent dans la boue (Les fleurs bleues). Chez Jean-Philippe Toussaint, c’est plus radical : on décapite, comme chez Yves Thériault (Contes pour un homme seul). Pour le malheur de l’amour, pour le bonheur de la littérature.