Se trouve-t-il des parents assez dénaturés pour ne pas se sentir obligés d’applaudir lorsque leurs enfants montent une pièce de théâtre et exigent qu’un auditoire d’adultes en cautionne la présentation le plus sérieusement du monde ? « N’est-il pas merveilleux que ces chers petits aillent au bout de leurs scénarios ! » La présomption vertueusement pédagogique impose si bien sa loi que personne n’irait donc mettre en garde les parents de la jeune Briony contre une surchauffe de son imagination. C’est pourtant la propension de Briony à glisser vite sur les faits et à construire des intrigues sans fondement dans le réel qui provoque le drame : le témoignage de l’enfant dirigera les soupçons de la police vers un innocent et des vies seront à jamais fragilisées. L’imagination, folle du logis, peut tuer très tôt.
Ian McEwen, dans une langue magnifique à laquelle la traduction rend justice, épouse d’abord les aspirations de la jeune Briony. Elle aime écrire, distribuer les rôles, baigner dans les applaudissements des adultes mobilisés, mais elle perçoit de plus en plus clairement que la fiction qui origine de la vie donnera une plus grande profondeur à ses « œuvres ». D’où un regard plus prompt à observer les gestes des adultes et à leur donner (inventer ?) sens et motifs. Cheminement peut-être candide, mais dévastateur. Après cette écoute de Briony, Ian McEwen donne la parole à celui que la fabulatrice a envoyé en enfer. L’écrivain reviendra ensuite à Briony et à son tardif besoin d’expiation.
Volume magnifique où souffle un équivalent psychologique de l’effet papillon : l’instinct créateur d’une enfant met en branle un enchaînement d’autant plus cruel qu’il n’est ni voulu ni contenu ou freiné par le doute. De proche en proche, l’humble erreur de perspective se transforme en interprétation assurée, puis en accusation caractérisée, puis… Il aurait pu en aller autrement, mais c’est justement ce que demande tacitement Ian McEwen : comment pourrait-on éviter le malheur sans bloquer un trop grand nombre d’épanouissements ? Il ne faut pas assassiner Mozart et, pour cela, il faut beaucoup permettre. Et courir d’inévitables risques.