Exercices d’amitié. Le titre est on ne peut mieux choisi et fait à la fois référence à la notion d’effort qu’il faut déployer pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, pour apprendre à y vivre, et à l’importance de créer des liens, de construire des ponts entre les humains. Autrement dit, nous dit Yvon Rivard dans ce recueil d’essais, ce monde n’existe que si nous le créons sans cesse. L’amitié s’inscrit ici dans la continuité du dialogue et invite constamment à aller au-delà de l’échange premier, comme au tennis, à la différence qu’il importe davantage de garder la balle en jeu que de marquer le point. Les textes réunis ici, dont certains sont déjà parus en revue ou ont préfacé d’autres livres, ont tous en commun d’illustrer une posture de l’esprit, voire une éthique chère à Rivard : le devoir de raison doit l’emporter sur l’inclination à chercher à avoir raison. La démarche, en cela, n’est pas sans nous rappeler Montaigne à maints égards. Rivard ne cherche à s’élever du discours ambiant que pour avoir une vue renouvelée sur plusieurs sujets qui l’interpellent : l’éducation, la culture, la notion d’héritage, la mort, la place du Québec dans le monde, la bonté. Et chaque fois, il s’efforce de présenter un angle d’analyse différent qui permet d’enrichir la lecture d’une situation sociétale, d’une œuvre littéraire ou cinématographique. Notre propre lecture s’en trouve enrichie et, à notre tour, nous nous élevons quelque peu.
Ces exercices rendent hommage aux amis tantôt disparus (Pierre Vadeboncœur, Jean-Pierre Issenhuth, Suzanne Robert, pour ne nommer que ces derniers), tantôt présents mais trop souvent délaissés en raison des multiples tâches à accomplir au quotidien. L’un de ces textes, « Une seconde présence », dédié à Pierre Vadeboncœur, illustre avec une grande sensibilité le legs et le devoir de mémoire qui sous-tendent les liens qui nous unissent aux autres. Dans ce dernier texte, Yvon Rivard cherche la meilleure façon de rester en contact avec l’ami disparu et, dans cette recherche qui éveille et ramène à la surface maints souvenirs et regrets, une vérité prend forme à la relecture des écrits de Vadeboncœur sur l’amour : donner à la personne aimée une seconde présence, une présence qui nous permette de demeurer intimement en contact avec cette dernière. En d’autres mots, vaincre la mort par l’amour, continuer de créer par amour ; « la relation entre les morts et les vivants n’est peut-être pas à sens unique », nous dit fort justement Rivard. Un autre texte, « Des hommes sans amis », présente éloquemment la difficile accession à la culture, sa difficile appropriation, l’accès à l’écriture pour qui est issu d’un milieu sans culture sans avoir à renier son identité propre. Encore là, par amitié, Rivard insiste sur l’importance de redonner à ceux qui n’ont pas eu ce privilège accès à la culture, qu’eux-mêmes n’ont su donner parce qu’ils n’avaient pas le luxe d’avoir des amis, qu’ils étaient des hommes sans amis.
Le devoir de présence aux autres traverse également ce recueil. Dans « D’un mystère à l’autre », Rivard s’interroge sur la notion de générosité au contact d’un mendiant. Il y réfléchit sur notre mode de vie, nos excès de consommation, notre perte d’espérance – et de sens des valeurs – dès lors qu’on cherche à vouloir tout posséder, qu’on croit tout posséder, contrairement au mendiant qui n’a rien mais qui est souvent le premier, voire le seul à se réjouir du don que la vie lui offre chaque jour.
Il est impossible d’épuiser ici la richesse que contiennent les textes réunis dans ce recueil. Le plus important demeure sans doute d’y puiser lumière et réconfort en s’y replongeant et en partageant sa lecture.
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