Le projet de Dolorès D., personnage principal du premier roman d’Ioana Georgescu, est une « vidéo sur écrans multiples, où il y aura des images de foules, de villes en lumière, d’un corps qui tombe, de cerveaux, d’écrans noirs ». La structure et le contenu d’Évanouissement à Shinjuku correspondent à cette définition également.
Née à Bucarest d’une mère qui s’est « réfugiée dans une folie difficile à détecter » après la mort de son mari (beau-père de Dolorès), et d’un père qu’elle n’a jamais rencontré et dont elle ne possède qu’une photo, Dolorès est entourée d’êtres absents : son demi-frère « s’est enfermé dans un mutisme qui alterne avec l’hystérie », son amie Vera ne lui écrit plus et Fatahl, l’homme avec qui elle a failli se marier, est tué par une bombe… et puis, elle passe son temps entre différentes villes (New York, Hong Kong, Tokyo, Lisbonne,…), vit de beaux moments avec des étrangers et essaie de « retrouver sa mémoire déstabilisée ». À l’origine d’une telle recherche : quelques évanouissements, surtout celui qui s’est produit à Shinjuku. Parce que « après la chute de corps [ne restent que] turbulences de souvenirs embrouillés dans un vertige ». Après s’être longuement trimballée sans sa caméra, Dolorès la reprend pour filmer la Dateline, ce point où se rejoignent hier et demain. Bien qu’apparaissant vers la fin du roman, cette envie de capturer le temps zéro définit le texte entier.
Ioana Georgescu – une artiste multidisciplinaire née en Roumanie et vivant en Amérique du Nord, tout comme son héroïne – a un style très riche et imagé. Il convient parfaitement à des chapitres qui s’apparentent à de courts vidéos (et portent, d’ailleurs, des titres fort appropriés : « Écran noir », « Écran bleu », « Écran rose bonbon »,…).
Évanouissement à Shinjuku étant le premier volet d’une trilogie sur la mémoire du corps, le temps et le déplacement, nous attendons les prochains avec impatience en espérant qu’ils soient aussi bien écrits. Aussi inspirants.