« Les livres sont des portes », m’a dit un jour un ami poète. Il avait raison, bien sûr, doublement peut-être d’avoir dédaigné d’emballer prudemment la clairvoyance de son propos dans une comparaison. Non, les livres ne sont pas « comme ». Au fronton d’Eva, de Simon Liberati, pourrait d’ailleurs figurer l’avertissement suivant : « Toi qui entre ici, lecteur, abandonne toute prudence ».
Présenté par l’éditeur comme un roman, le livre de Liberati, écrit en hommage à son épouse, la cinéaste Eva Ionesco, s’élabore autour de son amour pour celle qui, petite fille, posa pour sa mère photographe (Irina Ionesco) qui en tira des images somptueuses et décadentes, équivoques, et bientôt pornographiques. En plus de la prostituer à l’occasion.
Le lecteur qui entre dans cette œuvre, curieux de son objet et lancé sur les traces du matériau biographique, ce lecteur se verra sans tarder intimé, au détour fulgurant d’un passage ou d’une phrase à la beauté décisive, de mourir à un état de lui-même et, suivant en cela le parcours du narrateur, d’opérer une conversion.
Car le récit de cette rencontre d’une survivante et d’un homme à l’existence erratique tentée par le néant (ou de leurs retrouvailles, tous deux ayant suivi le même fil nocturne dans le Paris des années 1970-1980), ce récit s’inscrit d’emblée sous le signe de la foi, de la réminiscence et du destin. « Je cherchais la porte d’un autre monde », écrit-il. Ainsi la drogue et les dérèglements du narrateur deviennent-ils rétrospectivement ascèse, épreuve préparatoire, et la rencontre, puis le consentement à l’amour d’Eva, initiation. La figure tutélaire de Nerval accompagne notre lecture et avec elle les fées, sirènes de foire, licornes, petites saintes mortes d’overdose et autres reines du punk. « Il existait déjà pour moi avant d’écrire Eva une géographie surréelle, le monde où je marchais pouvait s’ouvrir à tout moment sur l’autre côté » ; « Pour user d’un vieux verbe, elle m’a féé ».
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