Paraissait chez Leméac en janvier dernier le premier roman de Denys Arcand, Euchariste Moisan, plaquette qui revisite sous la forme d’un monologue une œuvre marquante de notre littérature des années 1930, Trente arpents de Ringuet. Représentant à la fois le couronnement artistique et le chant du cygne de la littérature terroiriste, en raison de la puissance de son récit et de la rigueur de son réalisme, qui eut pour effet selon la critique des années 1960 de désamorcer la mystique de la terre, ce roman austère publié en 1938 raconte l’ascension et le déclin d’un cultivateur de la Mauricie qui après avoir hérité des trente arpents de son oncle accède à la prospérité et au prestige, jusqu’à ce que, devenu vieux, l’avènement de la modernité et des revers causés par son entêtement l’acculent à la ruine et le forcent à s’exiler aux États-Unis, où il finira sa vie comme gardien de nuit, dépossédé de sa terre et de sa dignité.
Cédant la parole au personnage principal, Euchariste, le roman d’Arcand paraissait à première vue prometteur, en ce que ce choix de narration laissait prévoir une réécriture soucieuse de dévoiler de l’intérieur la subjectivité du protagoniste, qui n’est perçue que de l’extérieur chez Ringuet, dont on a souvent souligné l’objectivité de la narration. Cette promesse sera toutefois déçue à la lecture, car Arcand semble n’avoir pas su se détacher de la trame du roman de 1938, se contentant de la reproduire fidèlement dans le même ordre linéaire que l’avait fait Ringuet, sans réellement exploiter les possibilités offertes par le monologue, censé être porte ouverte sur l’intériorité, espace fictif susceptible de répondre à des logiques autres que la seule chronologie. Refusant ainsi le défi d’une transposition véritable, Arcand ne livre, en fin de compte, que le résumé en 79 pages de ce que Ringuet avait pris plus de 300 pages à raconter, ce qui donne un récit certes capable d’intéresser les lecteurs, mais où les événements se bousculent à une vitesse telle qu’on peine à saisir leur effet sur le narrateur, à comprendre le poids dramatique de la dépossession pourtant lente qu’ils décrivent.
Euchariste Moisan, un roman à lire, mais seulement pour se rappeler l’œuvre de Ringuet, pour se donner envie d’y retourner, d’en redécouvrir la puissance et la beauté, afin ainsi de réparer l’injustice faite à un grand roman qu’on ne lit guère plus que dans les cours de cégep ou d’université.